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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 38 |
EAN13 | 9782824710112 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LE MESSA GE
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LE MESSA GE
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1011-2
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.LE MESSA GE
A MONSI EU R LE MARQU IS D AMASO P ARET O
’ le désir de raconter une histoir e simple et v raie ,
au ré cit de laquelle un jeune homme et sa maîtr esse fussent saisisJ de fray eur et se réfugiassent au cœur l’un de l’autr e , comme deux
enfants qui se ser r ent en r encontrant un ser p ent sur le b ord d’un b ois. A u
risque de diminuer l’intérêt de ma nar ration ou de p asser p our un fat, je
commence p ar v ous annoncer le but de mon ré cit. J’ai joué un rôle dans
ce drame pr esque v ulg air e ; s’il ne v ous intér esse p as, ce sera ma faute
autant que celle de la vérité historique . Be aucoup de choses véritables
sont souv erainement ennuy euses. A ussi est-ce la moitié du talent que de
choisir dans le v rai ce qui p eut de v enir p o étique .
En 1819, j’allais de Paris à Moulins. L’état de ma b our se m’ oblig e ait
à v o yag er sur l’imp ériale de la dilig ence . Les Anglais, v ous le sav ez, r
eg ardent les places situé es dans cee p artie aérienne de la v oitur e comme
les meilleur es. Durant les pr emièr es lieues de la r oute , j’ai tr ouvé mille e
xcellentes raisons p our justifier l’ opinion de nos v oisins. Un jeune homme ,
qui me p ar ut êtr e un p eu plus riche que je ne l’étais, monta, p ar g oût,
1Le messag e Chapitr e
près de moi, sur la banquee . Il accueillit mes ar guments p ar des
sourir es inoffensifs. Bientôt une certaine confor mité d’âg e , de p ensé e , notr e
mutuel amour p our le grand air , p our les riches asp e cts des p ay s que
nous dé couv rions à mesur e que la lourde v oitur e avançait ; puis, je ne sais
quelle araction magnétique , imp ossible à e xpliquer , fir ent naîtr e entr e
nous cee espè ce d’intimité momentané e à laquelle les v o yag eur s
s’abandonnent av e c d’autant plus de complaisance que ce sentiment éphémèr e
p araît de v oir cesser pr omptement et n’ eng ag er à rien p our l’av enir . Nous
n’avions p as fait tr ente lieues que nous p arlions des femmes et de
l’amour . A v e c toutes les pré cautions oratoir es v oulues en semblable o
ccurr ence , il fut natur ellement question de nos maîtr esses. Jeunes tous deux,
nous n’ en étions encor e , l’un et l’autr e , qu’à la femme d’un certain âge ,
c’ est-à-dir e à la femme qui se tr ouv e entr e tr ente-cinq et quarante ans.
Oh ! un p oète qui nous eût é coutés de Montar gis, à je ne sais plus quel
r elais, aurait r e cueilli des e xpr essions bien enflammé es, des p ortraits
ravissants et de bien douces confidences ! Nos craintes pudiques, nos
interje ctions silencieuses et nos r eg ards encor e r ougissants étaient empr eints
d’une élo quence dont le char me naïf ne s’ est plus r etr ouvé p our moi. Sans
doute il faut r ester jeune p our compr endr e la jeunesse . Ainsi, n ous nous
comprîmes à mer v eille sur tous les p oints essentiels de la p assion. Et,
d’ab ord, nous avions commencé à p oser en fait et en princip e qu’il n’y avait
rien de plus sot au monde qu’un acte de naissance ; que bien des femmes
de quarante ans étaient plus jeunes que certaines femmes de vingt ans,
et qu’ en définitif les femmes n’avaient ré ellement que l’âg e qu’ elles p
araissaient av oir . Ce sy stème ne meait p as de ter me à l’amour , et nous
nagions, de b onne foi, dans un o cé an sans b or nes. Enfin, après av oir fait
nos maîtr esses jeunes, char mantes, dé v oué es, comtesses, pleines de g oût,
spirituelles, fines ; après leur av oir donné de jolis pie ds, une p e au satiné e
et même doucement p arfumé e , nous nous av ouâmes, lui, que madame une
telle avait tr ente-huit ans, et moi, de mon côté , que j’adorais une
quadrag énair e . Là-dessus, déliv rés l’un et l’autr e d’une espè ce de crainte vague ,
nous r eprîmes nos confidences de plus b elle en nous tr ouvant confrèr es
en amour . Puis ce fut à qui, de nous deux, accuserait le plus de
sentiment. L’un avait fait une fois deux cents lieues p our v oir sa maîtr esse
p endant une heur e . L’autr e avait risqué de p asser p our un loup et d’êtr e
2Le messag e Chapitr e
fusillé dans un p ar c, afin de se tr ouv er à un r endez-v ous no ctur ne .
Enfin, toutes nos folies ! S’il y a du plaisir à se rapp eler les dang er s p assés,
n’y a-t-il p as aussi bien des délices à se souv enir des plaisir s é vanouis :
c’ est jouir deux fois. Les p érils, les grands et p etits b onheur s, nous nous
disions tout, même les plaisanteries. La comtesse de mon ami avait fumé
un cig ar e p our lui plair e ; la mienne me faisait mon cho colat et ne p
assait p as un jour sans m’é crir e ou me v oir ; la sienne était v enue demeur er
chez lui p endant tr ois jour s au risque de se p erdr e ; la mienne avait fait
encor e mieux, ou pis si v ous v oulez. Nos maris adoraient d’ailleur s nos
comtesses ; ils vivaient esclav es sous le char me que p ossèdent toutes les
femmes aimantes ; et, plus niais que l’ ordonnance ne le p orte , ils ne nous
faisaient tout juste de p éril que ce qu’il en fallait p our augmenter nos
plaisir s. Oh ! comme le v ent emp ortait vite nos p ar oles et nos douces risé es !
En ar rivant à Pouilly , j’ e x aminai fort aentiv ement la p er sonne de
mon nouv el ami. Certes, je cr us facilement qu’il de vait êtr e très
sérieusement aimé . Figur ez-v ous un jeune homme de taille mo y enne , mais
trèsbien pr op ortionné e , ayant une figur e heur euse et pleine d’ e xpr ession.
Ses che v eux étaient noir s et ses y eux bleus ; ses lè v r es étaient
faiblement r osé es ; ses dents, blanches et bien rang é es ; une pâleur gracieuse
dé corait encor e ses traits fins, puis un lég er cer cle de bistr e cer nait ses
y eux, comme s’il eût été convalescent. Ajoutez à cela qu’il avait des mains
blanches, bien mo delé es, soigné es comme doiv ent l’êtr e celles d’une
jolie femme , qu’il p araissait fort instr uit, était spirituel, et v ous n’aur ez p as
de p eine à m’accorder que mon comp agnon p ouvait fair e honneur à une
comtesse . Enfin, plus d’une jeune fille l’ eût envié p our mari, car il était
vicomte , et p ossé dait envir on douze à quinze mille liv r es de r entes, sans
compter les espérances .
A une lieue de Pouilly , la dilig ence v er sa. Mon malheur eux camarade
jug e a de v oir , p our sa sûr eté , s’élancer sur les b ords d’un champ
fraîchement lab ouré , au lieu de se cramp onner à la banquee , comme je le fis,
et de suiv r e le mouv ement de la dilig ence . Il prit mal son élan ou glissa,
je ne sais comment l’accident eut lieu, mais il fut é crasé p ar la v oitur e ,
qui tomba sur lui. Nous le transp ortâmes dans une maison de p ay san. A
trav er s les g émissements que lui ar rachaient d’atr o ces douleur s, il put me
léguer un de ces soins à r emplir aux quels les der nier s v œux d’un mourant
3Le messag e Chapitr e
donnent un caractèr e sacré . A u milieu de son ag onie , le p auv r e enfant se
tour mentait, av e c toute la candeur dont on est souv ent victime à son âg e ,
de la p eine que r essentirait sa maîtr esse si elle appr enait br usqueme