Après une rapide évocation des guerres civiles de Vendée de 1793-94, l'intrigue se déroule entre 1831 et 1832. Filles jumelles et bâtardes d'un ancien combattant royaliste de 1793, le marquis de Souday, Mary et Bertha, auxquelles on prête, bien à tort, une sulfureuse réputation, sont cruellement surnommées «les louves de Machecoul». Loin de ces médisances, elles vivent sereinement leur solitude jusqu'au jour où le sort place sur le chemin deux nouveaux personnages : le baron Michel de la Logerie, fils d'un bourgeois enrichi par l'Empire, et Marie-Caroline de Bourbon, duchesse de Berry, qui veut offrir le trône de France à son fils en réveillant l'esprit royaliste vendéen. Dès leur première rencontre, les jeunes filles s'éprennent de Michel qui, pour sa part, tombe sous le charme de la douce Mary et s'engage, par amour pour elle, aux côtés de la duchesse... Roman méconnu de Dumas, Les louves de Machecoul s'avère pourtant une oeuvre riche, dense et palpitante, empreint d'une vie étourdissante et d'un puissant souffle romanesque.
XLVI – Où maître Jacques tient le serment qu’il a fait à Aubin Courte-Joie
ffectivement, le bruit que le baron Michel et Petit-Pierre avaient entendu, du côté par où Courtin venait de disparaître, se changeait en un fracas tumultueux qui allait toujours se rapprochant ; et, deux minutes après, une douzaine de chasseurs, Epassèrent comme une tempête à dix pas de Petit-Pierre et de son compagnon, qui se lancés au galop sur les traces ou plutôt sur le bruit que faisait en fuyant le cheval du marquis de Souday, – lequel accompagnait sa fuite de hennissements furieux, – redressant au fur et à mesure que les cavaliers s’éloignaient, les suivirent de l’œil dans leur course enragée. – Ils vont bien, dit Petit-Pierre ; mais, c’est égal, je doute qu’ils le rattrapent. – D’autant plus, répondit le baron, qu’ils vont justement passer à l’endroit où nos amis nous attendent, et que le marquis me paraît tout à fait d’humeur à ralentir leur poursuite. – Bataille, alors ! fit Petit-Pierre. Hier dans l’eau, aujourd’hui dans le feu ; j’aime mieux cela ! Et il essaya d’entraîner le baron Michel du côté où il comptait que la bataille allait avoir lieu. – Oh ! non, non, dit Michel résistant ; non, je vous en prie, n’y allez pas ! – N’êtes-vous pas curieux de combattre sous les yeux de votre belle, baron ? Elle est là, cependant ! – Je le crois, dit tristement le jeune homme ; mais, vous le voyez, les soldats sillonnent la campagne dans toutes les directions ; si l’on tire quelques coups de fusil, ils accourront au feu ; nous pouvons tomber dans un de leurs partis, et, si j’accomplissais si malheureusement la mission dont je me suis chargé, je n’oserais plus jamais me présenter devant le marquis… – Voyons, dites devant sa fille. – Eh bien, oui. – Alors, pour ne pas vous brouiller avec votre belle amie, je vous promets de vous obéir. – Merci, merci, dit Michel saisissant vivement les mains de Petit-Pierre. Puis, s’apercevant de l’inconvenance qu’il commettait : – Oh ! pardon, pardon, dit-il en faisant vivement un pas en arrière. – Bon ! dit Petit-Pierre, ne faites pas attention. Où le marquis de Souday m’avait-il ménagé un asile ? – Chez moi, dans une métairie à moi. – Pas dans celle de Courtin, j’espère ? – Non, dans une autre, parfaitement isolée, perdue dans les bois, de l’autre côté de Légé… Vous savez le village où était la maison de Tinguy ? – Oui ; mais connaissez-vous les chemins qui y conduisent ? – Parfaitement. – Je me défie un peu de cet adverbe-là en France ; mon pauvre Bonneville, lui aussi, connaissait parfaitement les chemins, et cependant il s’est égaré. Petit-Pierre poussa un soupir et murmura : – Pauvre Bonneville !… Hélas ! C’est peut-être cette erreur qui est la cause de sa mort.
Ce retour que faisait Petit-Pierre en arrière le ramenait naturellement aux pensées mélancoliques qui avaient déjà occupé son esprit lorsqu’il avait quitté la maison où s’était accomplie la catastrophe qui avait coûté la vie à son premier compagnon ; il redevint silencieux, et, après un signe de consentement, il se mit à suivre son nouveau guide, ne répondant que par des monosyllabes aux rares questions que lui adressait Michel.
Quant à celui-ci, il se tira de ses nouvelles fonctions avec infiniment plus d’adresse et de bonheur que l’on n’aurait pu s’y attendre. Il se jeta sur la gauche, et, traversant la plaine, il gagna un ruisseau qu’il connaissait pour y avoir maintes fois pêché des écrevisses dans son enfance ; ce ruisseau traverse d’un bout à l’autre le vallon de la Benaste, remonte vers le sud pour redescendre au nord et rejoindre la Boulogne auprès de Saint-Colombin.
Les deux rives, bordées de prairies, offraient un chemin à la fois sûr et commode. Michel le suivit quelque temps en portant Petit-Pierre sur ses épaules comme avait fait le pauvre Bonneville.
Puis, sortant du ruisseau après y avoir fait un kilomètre environ, il appuya de nouveau à gauche, gravit une colline et montra à Petit-Pierre les masses sombres de la forêt de Touvois, que, dans l’obscurité, on entrevoyait au pied de la colline sur laquelle ils étaient parvenus.
– Est-ce donc déjà votre métairie ? demanda Petit-Pierre. – Non ; nous avons encore à traverser la forêt de Touvois ; mais, dans trois quarts d’heure, nous y serons arrivés. – Et la forêt de Touvois est-elle sûre ? – C’est probable : les soldats savent bien qu’il n’y a rien de bon, pour eux, à traverser nos forêts la nuit. – Et vous ne craignez pas de vous y perdre ? – Non ; car nous n’irons point à travers le fourré ; nous n’y entrerons même que quand nous aurons trouvé le chemin de Machecoul à Légé ; en suivant la lisière de l’est, nous devons nécessairement le rencontrer. – Et alors ? – Alors, nous n’aurons plus qu’à le suivre en remontant. – Allons, allons, dit Petit-Pierre, je rendrai bon compte de vous, mon jeune guide, et, ma foi, il ne tiendra pas à Petit-Pierre que votre courageux dévouement n’obtienne la récompense qu’il ambitionne. Mais voici un chemin à peu près praticable ; ne serait-ce pas celui que nous cherchons ? – C’est bien facile à reconnaître : il doit y avoir un poteau à droite… Et ! tenez, le voici ! C’est cela même. Et, maintenant, Petit-Pierre, j’ose vous promettre une bonne nuit. – Tant mieux ! dit Petit-Pierre en soupirant ; car je ne puis pas vous cacher que les terribles émotions de la journée ont mal réparé les fatigues de l’autre nuit.
Petit-Pierre n’avait pas achevé ces mots, qu’une silhouette noire se dressa sur le revers du fossé, bondit sur la route, et qu’un homme le saisissant violemment au collet, lui cria d’une voix de tonnerre : – Arrêtez, ou vous êtes mort ! Michel s’élança au secours de son jeune compagnon en assenant sur la tête de l’agresseur un vigoureux coup de la pomme de plomb de sa cravache. Mais il faillit payer cher sa généreuse intervention. L’homme, sans lâcher Petit-Pierre, qu’il contenait de la main gauche, tira un pistolet de dessous sa veste et fit feu sur le baron Michel. Heureusement pour le pauvre jeune homme que, quelle que fût la faiblesse de Petit-Pierre, ce n’était point un gaillard à se tenir aussi parfaitement tranquille que l’eût souhaité l’homme
au pistolet : il vit le geste, et, d’un geste plus rapide encore, il releva si à propos le bras qui ajustait l’arme meurtrière, que la balle, qui, sans ce mouvement, traversait infailliblement la poitrine du baron Michel, ne fit que lui labourer le haut de l’épaule.
Il revenait à la charge et l’assaillant sortait un second pistolet de sa ceinture, lorsque deux autres individus s’élancèrent hors des buissons et le saisirent par-derrière. Alors, l’homme, le voyant hors d’état de nuire, se contenta de dire à ses deux coopérateurs : – Fusillez-moi ce gaillard-là ! et, quand vous en aurez fini avec lui, vous me débarrasserez de celui-ci. – Mais, se hasarda de dire Petit-Pierre, de quel droit nous arrêtez-vous de la sorte ? – Du droit de ceci, répondit l’homme en montrant la carabine qu’il portait en sautoir sur son épaule. Pourquoi ? Vous le saurez tout à l’heure. Attachez solidement l’homme à la cravache ; quant à celui-ci, ajouta-t-il avec mépris en désignant Petit-Pierre, ce n’est pas la peine : je crois que nous n’aurons pas grande difficulté à nous en faire suivre. – Mais, enfin, où nous conduisez-vous ? demanda Petit-Pierre. – Oh ! vous êtes bien curieux, mon jeune ami, répondit l’homme. – Mais encore ?… – Eh ! pardieu ! marchez, si vous tenez tant à le savoir. Vous le verrez tout à l’heure par vos propres yeux. Et l’homme, prenant le bras de Petit-Pierre sous le sien, l’entraîna dans le fourré, tandis que Michel, qui regimbait encore vigoureusement, poussé par les deux acolytes, y pénétrait à son tour. Ils marchèrent ainsi pendant dix minutes, après lesquelles ils arrivèrent à la clairière que nous connaissons pour la demeure de Jacques, le maître des lapins ; car c’était lui qui, pour tenir saintement la promesse qu’il avait faite à Courte-Joie, avait arrêté les deux premiers voyageurs que le hasard avait envoyés sur la route et c’était son coup de pistolet qui avait mis en rumeur tout le camp des réfractaires, ainsi que nous l’avons vu à la fin d’un des chapitres précédents.
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XLVII – Oùi est démontré que tous es juifs ne sont pas de Jérusaem, et tous es Turcs de Tunis
olà! fit maître Jacques en arrivant à a cairière.! hé ! es apins Et à a voix de eur chef, es apins obéissants sortirent des buissons, des touffes H de genêts et de broussaies, sous esques is s’étaient gîtés au premier cri d’aarme, et rentrèrent dans a cairière, où autant, que e eur permettait ’obscurité, is examinèrent curieusement es deux prisonniers. Puis, comme cet examen dans es ténèbres ne eur suffisait pas, ’un d’eux descendit dans e terrier, y auma deux morceaux de sapin et revint es mettre sous e nez de Petit-Pierre et de son compagnon.
Maître Jacques avait été reprendre sa pace habituee sur e tronc d’arbre, et i causait paisibement avec Aubin Courte-Joie, auque i racontait es incidents de a prise qu’i venait d’opérer, avec a même conscience qu’un viageois raconte à sa femme es détais d’une acquisition qu’i a faite au marché.
Miche, que cette première affaire et a bessure qu’i avait reçue avaient nécessairement ému, s’était assis ou putôt couché sur ’herbe ; Petit-Pierre, debout à côté de ui, regardait, avec une attention qui n’était pas exempte de dégoût, es figures des bandits ; ce qui ui était d’autant pus facie que ceux-ci, eur curiosité satisfaite, avaient repris eurs occupations interrompues, c’est-à-dire eurs psamodies, eurs jeux, eur sommei et e soin de eurs armes.
Cependant, tout en jouant, tout en buvant, tout en chantant, tout en nettoyant eurs fusis, eurs carabines et eurs pistoets, is ne perdaient pas un seu instant de ’œi es deux prisonniers, que, pour surcroît de précaution, on avait pacés au centre de a cairière. Ce fut aors seuement, en ramenant ses regards des bandits sur son compagnon, que Petit-Pierre s’aperçut de a bessure de ceui-ci. – Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-i en voyant e sang qui, couant de son bras, était descendu jusqu’à sa main, vous êtes bessé ? – Je crois que oui, Mad… mons… – Oh ! par grâce, jusqu’à nouve ordre,Petit-Pierre, et pus que jamais ! Souffrez-vous beaucoup ? – Non ; i m’a sembé que je recevais un coup de bâton sur ’épaue, et, maintenant, j’ai e bras tout engourdi. – Essayez de e remuer. – Oh ! dans tous es cas, i n’y a rien de cassé. Voyez ! Et, effectivement, i remua assez faciement e bras. – Aons, tant mieux ! Voià qui va enever d’assaut e cœur de cee que vous aimez, et, si votre nobe conduite ne suffisait pas, je vous promets d’intervenir ; j’ai de bonnes raisons pour croire que mon intervention sera efficace. – Que vous êtes bonne ! – Que je suisbon ! bon ! bon !Ne ’oubiez donc pus, maheureux que vous êtes ! – Oui, Petit-Pierre ; et, quoique vous m’ordonniez après une pareie promesse, s’agît-i d’enever à moi tout seu une batterie de cent pièces de canons, je marcherais tête baissée sur a redoute. Ah ! si vous vouiez parer au marquis de Souday, je serais e pus heureux des
hommes ! – Ne gesticuez donc pas ainsi : vous aez empêcher e sang de s’arrêter. Ah ! i paraît que c’est e marquis que vous redoutez particuièrement. Eh bien, je ui parerai, à ce terribe marquis, foi de… Petit-Pierre ; seuement, pendant qu’on nous aisse tranquies, continua Petit-Pierre en jetant un regard autour de ui, causons de nos affaires. Où sommes-nous, et quees sont ces gens-à ? – Mais, dit Miche, cea m’a tout ’air d’être des chouans. – Des chouans qui arrêtent des voyageurs inoffensifs ? C’est impossibe. – Cea s’est vu cependant. – Oh ! – Et, cea ne s’est pas vu, j’ai bien peur que cea ne se voie aujourd’hui. – Mais que vont-is faire de nous ? – Nous aons e savoir ; car voici qu’is se remuent, et c’est sans doute pour nous faire ’honneur de s’occuper de nos personnes. – Ah ! par exempe, fit Petit-Pierre, i serait curieux que ce fût de mes partisans que vînt pour nous e danger. En tout cas, sience ! Miche fit un signe pour indiquer qu’i n’y avait de sa part aucune indiscrétion à redouter. Comme ’avait fort judicieusement remarqué e jeune baron, maître Jacques, après avoir conféré avec Aubin Courte-Joie et queques-uns de ses hommes, venait de donner ’ordre qu’on ui amenât es prisonniers. Petit-Pierre s’avança avec assurance vers ’arbre sous eque e maître des apins tenait ses assises ; mais Miche, qui, à cause de sa bessure et de ses mains iées, éprouvait queque difficuté à se dresser sur ses jambes, mit un peu pus de temps à obéir ; ce que voyant, Aubin Courte-Joie, fit signe à Trigaud a Vermine, qui, saisissant e jeune homme par a ceinture, ’eneva avec autant de faciité qu’un autre eût fait d’un enfant de trois ans, et e posa devant maître Jacques en ayant soin de e pacer dans une situation exactement sembabe à cee où i était orsqu’i avait été ramassé, manœuvre que Trigaud a Vermine opéra en ançant fort adroitement en avant es extrémités inférieures de Miche, puis en donnant une secousse au centre de gravité avant de aisser retomber e tout sur e so.
– Butor ! murmura Miche, auque a doueur avait fait perdre sa timidité naturee.
– Vous n’êtes pas poi, dit maître Jacques ; non, je vous e répète, vous n’êtes pas poi, monsieur e baron Miche de a logerie ! et e procédé de ce brave garçon vaait mieux que cea. Mais voyons, aissons toutes ces futiités, et arrivons-en à nos petites affaires. Jetant aors un coup d’œi pus arrêté sur e jeune homme : – Je ne me suis pas trompé, continua-t-i : vous êtes bien M. e baron Miche de a logerie ? – Oui, répondit brièvement Miche. – Bien ! qu’aviez-vous à faire sur a route de légé, en peine forêt de Touvois, à cette heure de a nuit ? – Je pourrais vous répondre que je n’ai pas de comptes à vous rendre, et que es routes sont ibres. – Mais vous ne me répondrez pas cea, monsieur e baron. – Pourquoi ? – Parce que, sauf e respect que je vous dois, vous répondriez une sottise, et que vous avez trop d’esprit pour cea. – Comment ? – Sans doute : vous voyez bien que vous avez des comptes à me rendre, puisque je vous en
demande ; vous voyez bien que es routes ne sont pas ibres, puisque vous n’avez pas pu continuer votre chemin. – Soit ; je ne discuterai pas avec vous. J’aais à ma métairie de a Banœuvre, qui, vous e savez, est située à ’une des extrémités de a forêt de Touvois, où nous sommes. – Eh bien, à a bonne heure, monsieur e baron, faites-moi toujours ’honneur de me répondre ainsi, et nous serons d’accord. Maintenant, comment se fait-i que M. e baron de a logerie, qui a tant de bons chevaux dans ses écuries, tant de bons carrosses sous ses remises, voyage à pied comme es simpes manants, comme nous pourrions e faire ? – Nous avions un cheva ; mais, dans une chute que nous avons faite, i s’est échappé, et nous n’avons pas pu e rejoindre. – Bien encore. A présent, monsieur e baron, j’espère que vous serez assez bon pour nous donner des nouvees. – Moi ? – Oui. Que se passe-t-i par à-bas, monsieur e baron ? – En quoi ce qui se passe de nos côtés peut-i vous intéresser ? demanda Miche, qui, ne devinant pas encore tout à fait à qui i avait affaire, ne savait trop quee coueur i devait donner à ses réponses. – Dites toujours, monsieur e baron, reprit maître Jacques ; ne vous inquiétez pas de ce qui peut m’être utie ou de ce qui peut m’être indifférent. Voyons, rappeez bien vos souvenirs. Qu’avez-vous rencontré sur votre route ?
Miche regarda Petit-Pierre avec embarras. Maître Jacques surprit ce regard ; i appea Trigaud a Vermine et ui ordonna de se pacer entre es deux prisonniers, comme a Muraie duSonge d’une nuit d’été. – Eh bien, continua Miche, nous avons rencontré ce que ’on rencontre à toute heure et sur tous es chemins, depuis trois jours, dans es environs de Machecou : des sodats. – Et sans doute is vous ont paré ? – Non. – Comment ! non ? Is vous ont aissés passer sans vous parer ? – Nous es avons évités. – Bah ! fit maître Jacques d’un ton dubitatif. – Voyageant pour nos affaires, i ne nous convenait point d’être mêés magré nous dans cees qui ne nous regardent pas. – Et que est ce jeune homme qui vous accompagne ? Petit-Pierre s’empressa de répondre avant que Miche eût eu e temps de e faire : – Je suis, dit-i, e domestique de M. e baron. – Aors, mon ami, dit maître Jacques répiquant à Petit-Pierre, permettez-moi de vous dire que vous êtes un bien mauvais domestique ; et, en vérité, tout paysan que je suis, cea me chagrine de voir un domestique répondre pour son maître, surtout quand on ne ui adresse pas a paroe, à ui. Puis, revenant à Miche : – Ah ! Ce jeune garçon est votre domestique ? continua maître Jacques. Eh bien, i est fort genti ! Et e maître des apins regarda Petit-Pierre avec une profonde attention, tandis que ’un de ses hommes passait sa torche devant e visage de ce dernier pour faciiter ’examen. – Voyons, de fait, que vouez-vous ? demanda Miche. Si c’est ma bourse, je ne compte pas a
défendre, prenez-a ; mais aissez-nous aer à nos affaires.
– Ah ! fi donc ! répondit maître Jacques, si j’étais un gentihomme comme vous, monsieur Miche, je vous demanderais raison d’une pareie offense. Voyons, vous nous prenez donc pour des voeurs de grand chemin ? Voià qui n’est pas du tout fatteur, et, sans a crainte de vous être désagréabe, je vous révéerais mes quaités ; mais vous ne vous occupez pas de poitique… Monsieur votre père, cependant, que j’ai eu ’avantage de connaître queque peu, s’en mêait, ui, et i n’y a pas perdu sa fortune ; je vous avoue donc que je croyais trouver en vous un serviteur zéé de Sa Majesté louis-Phiippe.
– Eh bien, vous vous seriez trompé, mon cher monsieur, répondit très-irrévérencieusement Petit-Pierre : M. e baron est, au contraire, un partisan très zéé d’Henri V.
– Vraiment, mon jeune ami ? s’écria maître Jacques. Puis se tournant vers Miche : – Voyons, monsieur e baron, continua-t-i, ce que vient de dire à votre compagnon… non, je me trompe, votre domestique, est-ce bien vrai ? – C’est ’exacte vérité, répondit Miche. – Ah ! Voià qui me combe de joie ! Et moi qui croyais avoir affaire à d’affreux patauds ! Mon Dieu, que je suis donc honteux de vous avoir traités de a sorte, et que d’excuses j’ai à vous faire ! Recevez-es, monsieur e baron ; vous-même, prenez-en votre part, mon jeune ami, et touchez à tous deux, e domestique comme e maître… Je ne suis pas fier, moi. – Eh ! pardieu ! dit Miche, dont a poitesse raieuse de maître Jacques était oin d’apaiser a mauvaise humeur, vous avez un moyen bien simpe de nous témoigner vos regrets : c’est de nous renvoyer où vous nous avez pris. – Oh ! fit maître Jacques, non. – Comment ! non ? – Non, non, non ; je ne souffrirai pas que vous nous quittiez de a sorte ; d’aieurs, deux partisans de a égitimité comme nous, monsieur e baron Miche, doivent avoir à s’entretenir ensembe de a grande question de a prise d’armes. N’êtes-vous pas de cet avis, monsieur e baron ? – Soit ; mais ’intérêt même de cette cause exige que, moi et mon domestique, nous nous mettions promptement en sûreté à a Banœuvre. – Monsieur e baron, nu asie, je vous jure, n’est pus sûr que ceui que vous trouverez parmi nous ; puis je ne souffrirai pas que vous nous quittiez avant que je vous aie donné une preuve de ’intérêt vraiment touchant que je vous porte. – Hum ! murmura Petit-Pierre, i me sembe que cea se gâte. – Voyons, dit Miche. – Vous êtes dévoué à Henri V ? – Oui. – Très-dévoué ? – Oui. – Enormément ? – Je vous ’ai dit. – Vous ’avez dit, et je n’en doute pas. Eh bien, je vais vous fournir es moyens de manifester ce dévouement d’une manière écatante. – Faites. – Vous voyez tous ces braves, fit maître Jacques en montrant à Miche sa troupe, c’est-à-dire une quarantaine de drôes ayant bien pus ’air de bandits de Caot que d’honnêtes paysans ;
is ne demandent qu’à se faire tuer pour notre jeune roi et son héroïque mère ; seuement, is manquent de tout ce qui est nécessaire pour atteindre ce but : d’armes pour combattre, d’habits pour se présenter convenabement au feu, d’argent pour aéger es fatigues du bivac. Vous ne souffrirez pas, je e présume, monsieur e baron, que tous ces dignes serviteurs, en accompissant ce que vous-même regardez comme un devoir, s’exposent à toutes es maadies, rhumes, fuxions de poitrine, qui résutent de ’intempérie des saisons ? – Mais où diabe, répiqua Miche, vouez-vous que je trouve de quoi vêtir et armer vos hommes ? Est-ce que j’ai des magasins à ma disposition ? – Ah ! monsieur e baron, reprit maître Jacques, croyez-vous donc que je sache assez peu mon monde pour avoir pensé à donner à un homme comme vous ’ennui de tous ces détais ? Non ; j’ai à un serviteur merveieux (et i montra Aubin Courte-Joie) qui vous épargnera toute peine ; i vous suffira de e fournir d’argent, et i fera pour e mieux, tout en ménageant votre bourse. – S’i ne s’agit que de cea, dit Miche avec a faciité de a jeunesse et ’enthousiasme d’une opinion naissante, de grand cœur ! Combien vous faut-i ? – A a bonne heure ! fit maître Jacques assez étonné de cette faciité. Eh bien, croyez-vous que ce soit exagérer es choses que de vous demander cinq cents francs par homme ? Vous comprenez que je voudrais, outre a tenue – verte comme cee des chasseurs de M. de Charette – eur voir un havre-sac convenabement garni ; cinq cents francs, c’est à peu près moitié du prix que Phiippe compte à a France pour chaque homme qu’ee ui fournit, et chacun de mes hommes vaut bien deux sodats de Phiippe. Vous voyez que je suis raisonnabe. – Dites-moi en deux mots a somme que vous exigez, et finissons. – Eh bien, j’ai une quarantaine d’hommes, y compris es absents par congé en rège, mais qui doivent rejoindre es drapeaux au premier signa : cea fait tout juste vingt mie francs, c’est-à-dire une misère pour un homme riche comme vous êtes, monsieur e baron. – Soit ; dans deux jours, vous aurez vos vingt mie francs, dit Miche en essayant de se ever, je vous en donne ma paroe. – Oh ! que non pas !… Nous vouons vous épargner toute peine, monsieur e baron. Vous avez bien aux environs un ami, un notaire qui vous avancera cette somme : vous aez ui écrire un petit mot bien pressant, bien poi, et ’un de mes hommes se chargera de e ui remettre. – Voontiers ! donnez-moi ce qu’i faut pour écrire et déiez-moi es mains. – Mon compère Courte-Joie va vous fournir pume, encre et papier. Maître Courte-Joie, en effet, commença de tirer de sa poche un encrier garni. Mais Petit-Pierre fit un pas en avant. – Un instant, monsieur Miche, dit-i avec résoution. Et vous, maître Courte-Joie, comme on vous appee, rengainez vos ustensies ; cea ne se fera pas. – Bah ! vraiment, monsieur e domestique ? demanda maître Jacques. Et pourquoi cea ne se ferait-i pas, s’i vous paît ? – Parce que de pareis procédés, monsieur, rappeent un peu trop es bandits de a Caabre et de ’Estramadure pour être de mise chez des hommes qui se prétendent es sodats du roi Henri V ; parce que c’est une véritabe extorsion, et que je ne a souffrirai pas.
– Vous, mon jeune ami ?
– Oui, moi !
– Si je vous considérais comme étant réeement ce que vous avez prétendu être, je vous traiterais comme on traite un aquais impertinent ; mais i me sembe que vous avez queque droit au respect que ’on porte à une femme, et je n’aurai garde de compromettre ma