Revue internationale de droit comparé - Année 2007 - Volume 59 - Numéro 2 - Pages 333-358 Depuis l’entrée en vigueur en 1998 d’une nouvelle Constitution, l’Albanie tente d’atteindre la «normalisation» dans le cadre d’un parlementarisme moniste classique qui caractérise la plupart des démocraties européennes à l’heure actuelle. Toutefois, l’application de cette Constitution se heurte à des problèmes juridiques et politiques majeurs qui tiennent aussi bien à l’histoire de son élaboration qu’à ses modes de révision ou encore à la doctrine de la Rule of Human Rights Law qui en inspire les principes directeurs. En même temps, cette nouvelle loi fondamentale, qui se substitue à un ancien paquet de lois constitutionnelles datant de 1991, ne parvient pas à maîtriser les conflits que son application engendre quant à ses virtualités, entre les différentes institutions et surtout entre le Parlement et la Cour constitutionnelle, sans oublier les incertitudes relatives à la pratique référendaire ou encore la supraconstitutionnalité.
Since the entry into force in 1998 of a new Constitution, Albania tries to reach standardization within the framework of a traditional monist parliamentary system which characterizes the majority of the European democracies at the present time. However, the application of this Constitution runs up against major legal and political problems which are due as well to the history of its elaboration as to its modes of revision or the doctrines of Rule of Human Rights Law which inspires their guiding principles. At the same time, this new fundamental law, which replaces an old package of constitutional laws going back to 1991, does not manage to control the conflicts which its application generates as for its virtualities between the various institutions and especially between the Parliament and the constitutional Court, without forgetting uncertainties relating to the referendum practice or the supraconstitutionnality. 26 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
LE DROIT CONSTITUTIONNEL ALBANAIS À LÉPREUVE DE LA PRATIQUE DES INSTITUTIONS*
Thomas FRACHERY**Depuis lentrée en vigueur en 1998 dune nouvelle Constitution, lAlbanie tente datteindre la « normalisation » dans le cadre dun parlementarisme moniste classique qui caractérise la plupart des démocraties européennes à lheure actuelle. Toutefois, lapplication de cette Constitution se heurte à des problèmes juridiques et politiques majeurs qui tiennent aussi bien à lhistoire de son élaboration quà ses modes de révision ou encore à la doctrine de laRule ofHuman Rights Law qui en inspire les principes directeurs. En même temps, cette nouvelle loi fondamentale, qui se substitue à un ancien paquet de lois constitutionnelles datant de 1991, ne parvient pas à maîtriser les conflits que son application engendre quant à ses virtualités, entre les différentes institutions et surtout entre le Parlement et la Cour constitutionnelle, sans oublier les incertitudes relatives à la pratique référendaire ou encore la supraconstitutionnalité. Since the entry into force in 1998 of a new Constitution, Albania tries to reach "standardization" within the framework of a traditional monist parliamentary system which characterizes the majority of the European democracies at the present time. However, the application of this Constitution runs up against major legal and political problems which are due as well to the history of its elaboration as to its modes of revision or the doctrines of Rule of Human Rights Law which inspires their guiding principles. At the same time, this new fundamental law, which replaces an old package of constitutional laws going back to 1991, does not manage to control the conflicts which its application generates as for its virtualities between the various institutions and
* Cet article a été extrait dune étude plus large que lauteur consacre en ce moment au droit public albanais sous le titre « Principes et problèmes du droit public albanais (Droit constitutionnel et Droit administratif) - manuel théorique et pratique ». **lInstitut, Lauréat et membre de la Fondation Charles de Gaulle, Licencié en de Lauréat droit et master 1 en droit public de lUniversité Paris II Panthéon-Assas.
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especially between the Parliament and the constitutional Court, without forgetting uncertainties relating to the referendum practice or the supraconstitutionnality. ÉTAT ET CONSTITUTIONNALISME EN ALBANIE La démarche scientifique en théorie classique du droit et en philosophie politique repose depuis Athènes et Rome, sur un impératif cognitif auquel la langue latine a conféré quant à lexpression, léclat de sa sobriété : «Caput est noscere rempublicam» ; le principal est de maîtriser le sens de la chose publique, de lEtat. En connaître les institutions, savoir manier logiquement loutil juridique qui les régit, découvrir les instruments qui permettent à tout un chacun de se situer dans lensemble des règles de droit qui encadrent la vie de la communauté, qui en déterminent la liberté de penser, de vouloir et dagir, voilà le premier devoir du citoyen. Si dans les pays occidentaux létude du droit et des institutions politiques constitue, depuis des siècles, une tradition hétéroclite mais stable et durable, qui voit passer les générations sans que changent en profondeur ni le mode épistémique du raisonnement, ni les moyens pratiques de la mise en uvre de règles générales de conduite que lEtat de droit émet en fonction de ses attributs souverains, dans les pays de lEst anciennement soviétisé, il ne sagit rien de moins que de découvrir ou redécouvrir lEtat. En effet, alors que le chaos des années de transition semble lentement laisser la place à une prise de conscience de plus en plus importante de lespace politique et institutionnel, la nécessité vitale pour des pays qui aspirent à intégrer lUnion européenne est dessayer de comprendre les fondements du modèle occidental de la soumission politique, qui est largement intelligible aussi bien par lherméneutique de la Loi1que par son analyse positiviste. LAlbanie, est un exemple très révélateur en ce sens. Obscure enclave staliniste du monde soviétique pendant un demi-siècle, de 1944 à 1992, elle a vécu au moins depuis linvasion ottomane au XVe cest-à-dire siècle, depuis un demi millénaire, en totale rupture avec toute idée dEtat, telle quelle a été transmise à lOccident par lhéritage dAthènes et de Rome, ainsi que par les penseurs de lEtat moderne des XIVe XV ete siècles. Ce divorce forcée que les circonstances historiques lui ont imposé a été très préjudiciable à une nation à la très riche tradition juridique et qui cherche encore aujourdhui son identité. Les Albanais sont en effet les descendants 1 Cf. B.BONFILS-MABILON et B. ETIENNE,La Science politique est-elle une science?, Paris, Dominos/ Flammarion, 1998, p. 20.