Revue internationale de droit comparé - Année 2007 - Volume 59 - Numéro 1 - Pages 79-105 The Egyptian Law No 46/ 1972 on the Judicial Authority was amended in June 2006 after a long battle between «reformist» judges and their Club, on the one side, and governemental or pro-governmental bodies like the Ministry of Justice and the Supreme Council of the Judiciary, on the other side. Several draft amendments had been prepared by the different parties involved, sometimes several years ago. The present article will analyze the impact of the 2006 amendments, by comparing them with the 1991 proposal of the Judges Club, as amended in 2004, and with that of the Ministry of Justice of 2005. Will the Law on the Judicial Authority, as amended, strengthen the independence (and the autonomy) of the judiciary? La loi n° 46 de 1972 sur le pouvoir judiciaire en Egypte fut amendée en juin 2006, après un long combat entre les juges «réformistes», d’une part, réunis au sein de leur Club, et les organes gouvernementaux ou pro-gouvernementaux, d’autre part, sous la forme du ministère de la Justice et du Conseil supérieur de la magistrature. Divers projets d’amendements avaient été préparés par les différentes parties concernées, parfois plusieurs années auparavant. La présente contribution analyse la portée des amendements introduits en 2006, en les comparant avec les propositions contenues à la fois dans le projet du Club des juges de 1991 (tel qu’amendé en 2004) et dans celui du ministère de la Justice de 2005. La loi sur le pouvoir judiciaire, ainsi révisée renforce-t-elle l’indépendance (et l’autonomie) du judiciaire? 27 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
VERS UNE PLUS GRANDE INDÉPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE EN ÉGYPTE? Nathalie BERNARD-MAUGIRON∗La loi n° 46 de 1972 sur le pouvoir judiciaire en Egypte fut amendée en juin 2006, après un long combat entre les juges « réformistes », dune part, réunis au sein de leur Club, et les organes gouvernementaux ou pro-gouvernementaux, dautre part, sous la forme du ministère de la Justice et du Conseil supérieur de la magistrature. Divers projets damendements avaient été préparés par les différentes parties concernées, parfois plusieurs années auparavant. La présente contribution analyse la portée des amendements introduits en 2006, en les comparant avec les propositions contenues à la fois dans le projet du Club des juges de 1991 (tel quamendé en 2004) et dans celui du ministère de la Justice de 2005. La loi sur le pouvoir judiciaire, ainsi révisée renforce-t-elle lindépendance (et lautonomie) du judiciaire ? The Egyptian Law No 46/1972 on the Judicial Authority was amended in June 2006 after a long battle between « reformist » judges and their Club, on the one side, and governemental or pro-governmental bodies like the Ministry of Justice and the Supreme Council of the Judiciary, on the other side. Several draft amendments had been prepared by the different parties involved, sometimes several years ago. The present article will analyze the impact of the 2006 amendments, by comparing them with the 1991 proposal of the Judges Club, as amended in 2004, and with that of the Ministry of Justice of 2005. Will the Law on the Judicial Authority, as amended, strengthen the independence (and the autonomy) of the judiciary? Lannée 2005 et le premier semestre de 2006 ont été marqués par une tension sans précédent entre les magistrats égyptiens, représentés par le Club des juges1, et le régime en place. Les juges réformistes luttèrent de longs ∗Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement, UR 102, Le Caire, Égypte. Lauteur remercie Karim al-Chazli pour son assistance dans la préparation de cet article.1à tout juge des tribunaux civils ainsi quauxCréé en 1939, le Club des juges est ouvert membres du parquet général. V.infra.
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mois pour obtenir une supervision intégrale du processus électoral2et pour accroître leur indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Sils finirent, certes, par obtenir quelques concessions, ils furent cependant loin de voir toutes leurs revendications satisfaites, particulièrement celles relatives au renforcement de leur indépendance. La loi n° 46 de 1972 sur le pouvoir judiciaire, actuellement en vigueur, fut adoptée par un décret-loi du président Sadate3. Elle comprend 171 articles, regroupés sous cinq titres4texte avait déjà été amendé en 1984. Ce par la loi n° 35, lorsquun mouvement de protestation des juges avait abouti à un premier renforcement de leur indépendance. La loi avait alors établi le principe de lirrévocabilité des membres du parquet général et un nouvel organe, le Conseil supérieur de la magistrature, avait remplacé le Conseil suprême des organes judiciaires dans la quasi-totalité de ses attributions. Les amendements de 1984, en laissant au ministre de la Justice des pouvoirs importants, navaient toutefois pas donné entière satisfaction aux magistrats, qui ne cessèrent depuis lors de se battre pour obtenir une réforme plus complète. Ce fut lune des principales revendications de la Conférence sur la justice, organisée par le Club des juges en 19865. Mais, surtout, le Club des juges6avait élaboré dès 19917un projet damendement de la loi sur le pouvoir judiciaire, adopté par son Assemblée générale le 18 janvier 19918. Ce texte fut transmis au ministère de la Justice, mais aucune suite ne lui fut donnée. Un comité du Club des juges réactualisa le projet en 2004, et la 2La Constitution égyptienne de 1971 (art. 88) exige que les élections se déroulent sous la supervision de membres des organes judiciaires, disposition qui a donné lieu à des conflits dinterprétation. Pour une analyse des développements récents à ce sujet, v. N. BERNARD-MAUGIRON, « Les juges et la supervision des élections de 2005 », inLa fabrique des élections. Les élections présidentielle et législatives de 2005 en Egypte.3Ce décret-loi avait été pris en vertu de larticle 147 de la constitution de 1971, qui autorise le président de la République à légiférer si, en labsence de lAssemblée du peuple, des évènements surviennent qui exigent de recourir à des mesures urgentes qui ne souffrent pas de retard. 4 : les tribunaux (hiérarchie et organisation ; compétencesTitre 1 ; jugements ; parquet général ; gestion financière ; assemblée générale et comité des affaires provisoires) ; titre 2 : les magistrats (nomination-promotion-ancienneté ; transfert-délégation-détachement ; irrévocabilité ; salaires et pensions ; devoirs ; le Conseil supérieur de la magistrature ; linspection judiciaire ; plaintes et recours ; congés ; responsabilité) ; titre 3 : le parquet général (nomination-promotion-ancienneté ; discipline) ; titre 4 : les auxiliaires de la justice et titre 5 : ladministration dutribunal.5Pour une étude des principales conclusions de cette conférence, v.Bulletin du CEDEJ, n° 20, Le Caire, 1986. 6Projet élaboré par un comité formé de deux membres nommés par le ministre de la Justice, deux nommés par le président de la Cour de cassation et deux choisis par les membres du Conseil dadministration du Club des juges, sous la présidence du président de la Cour de cassation. 7Conformément à une décision du 22 janv. 1990 de lAssemblée générale du Club des juges. 8Pour le texte du projet de 1991, v. Revueal-Quda, juin 1990, repris dans Institut du Caire pour létude des droits de lhomme,La transparence des élections et lindépendance de lamagistrature(en arabe), Le Caire, 2005. Pour celui de 2004, v. le texte publié par le Club des juges lui-même.