Pour des salariés qui travaillent dans une même entreprise depuis des années, parfois des décennies, la fermeture de leur établissement constitue un choc qui peut avoir des répercussions à long terme. En moyenne chaque année, c'est environ 2 % des salariés des établissements de plus de dix salariés qui sont touchés. En comparant leurs trajectoires salariales ultérieures avec celles des autres salariés, cet article s'efforce d'évaluer les effets durables du choc. Un supplément de départs hors du salariat de l'ordre de 6 % s'observe dans les deux premières années suivant la fermeture. Plus de la moitié des salariés touchés sont amenés par la fermeture à changer de zone d'emploi, et pour le tiers de ces « mobiles », leur nouvel emploi résulte d'un reclassement dans la même entreprise. La masse salariale de ceux qui n'ont pas quitté définitivement le salariat rattrape progressivement celle des salariés non touchés, sans y parvenir tout à fait : au bout de sept ans, un écart faible mais significatif, de l'ordre de 5 %, subsiste. Ces effets sont proches de ceux observés dans certains pays d'Europe du Nord (Suède, Norvège), mais beaucoup moins importants que ceux attestés aux États-Unis. On manque toutefois de statistiques en France sur les compensations effectivement perçues par les salariés licenciés à la suite d'une fermeture, pour dresser un bilan complet des effets de ces évènements sur les revenus des salariés touchés.
Évaluatin des effets des brusquesfermeturesdétablissementssur les trajectires salarialesJean-Françis Ryer*
Pour des salariés qui travaillent dans une même entreprise depuis des années, parfoisdes décennies, la fermeture de leur établissement constitue un choc qui peut avoir desrépercussions à long terme. En moyenne chaque année, cest environ 2 % des salariésdes établissements de plus de dix salariés qui sont touchés. En comparant leurs trajec-toiressalarialesultérieuresaveccellesdesautressalariés,cetarticlesefforcedévaluerleseffetsdurablesduchoc.Unsupplémentdedépartshorsdusalariatdelordrede6%sobservedanslesdeuxpremièresannéessuivantlafermeture.Plusdelamoitiédessalariéstouchéssontamenésparlafermetureàchangerdezonedemploi,etpourletiersdeces«mobiles»,leurnouvelemploirésultedunreclassementdanslamêmeentreprise. La masse salariale de ceux qui n’ont pas quitté définitivement le salariatrattrape progressivement celle des salariés non touchés, sans y parvenir tout à fait : aubout de sept ans, un écart faible mais significatif, de l’ordre de 5 %, subsiste. Ces effetssontprochesdeceuxobservésdanscertainspaysdEuropeduNord(Suède,Norvège),mais beaucoup moins importants que ceux attestés aux États-Unis. On manque toutefoisde statistiques en France sur les compensations effectivement perçues par les salariéslicenciésàlasuitedunefermeture,pourdresserunbilancompletdeseffetsdecesévè-nements sur les revenus des salariés touchés.
* Jean-François Royer appartenait au CREST au moment de la rédaction de cet article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 446, 2011
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Larécessionde2009afrearmmeentéuraeusddeévtaabnltisde-la scène le thème dessements, par le biais de cas fortement médiati-sés : Continental à Clairoix, Molex à Villemur-sur-Tarn,etc.Auniveaudunbassindemploi,c’est la balance entre les flux de création et dedisparition des emplois, appréciée au bout dequelques années, qui importe. Au niveau indi-viduel,lessalariéssontenprésencedunedis-symétrie bien réelle. Les suppressions demploisont souvent collectives, brusques, concentréesdans lespace, alors que les créations sont géné-ralement diffuses, et parfois éloignées des sup-pressions. Les salariés supportent une partie dupoids des ajustements. Face à de tels événe-ments, la question du retour à lemploi est deve-nue un véritable enjeu pour les politiques publi-ques.LesÉtatsdelUnioneuropéenneveulentprogresser à la fois vers plus de flexibilité desrelations employeurs-employés, et vers plus desécurité pour ces derniers. Il semble donc utilede prendre la mesure des risques et des pertesque les salariés encourent, ce pourquoi cet arti-cle cherche à contribuer.En utilisant conjointement une base de donnéessurlemploidesétablissements,etunpaneldesalariés permettant de connaitre leurs trajectoi-res salariales de 1991 à 2006, nous cherchons àévaluerlampleuretladuréedeschangementsdans la carrière salariale imputables aux brus-quesfermeturesdétablissementssurvenuesen France métropolitaine entre 1995 et 1999,pourlessalariésayantaumoinsdeuxansdan-cienneté qui ont été confrontés à un tel évène-ment. Les paramètres de la trajectoire salarialequi sont pris en compte sont le temps passé enemploisalarié,lamassedesalaire,lhorairedetravail, la localisation de lemploi salarié.Lambitiondecetarticlenevapasplusloin:nous ne prenons pas en compte, faute de don-nées, les compensations diverses qui sont ver-sées à ces salariés soit par leurs employeurs aumoment de la fermeture - indemnités de licen-ciement, etc. - soit par des organismes publicsau titre du chômage et de laccompagnementvers une reprise d’emploi. Ce travail ne cherchedonc pas à évaluer les effets des fermetures surles revenus des salariés concernés, mais seule-mentleseffetssurleurstrajectoiresdanslem-ploi salarié.Quest-cequune«brusquefermeture»?Chaque année, des salariés installés dansleur emploi sont confrontés à un évènement
imprévu : la cessation dactivité de létablisse -ment dans lequel ils travaillaient. Dans quellemesure cet évènement change-t-il la suite deleur trajectoire de salariés, cest-à-dire la suitedeleurspériodesdemploisalarié,oudenon-emploi salarié ? Quelles conséquences a-t-il surla durée, la rémunération, les horaires, la locali-sation de leurs emplois salariés ultérieurs ?Dans cette problématique, le caractère imprévude lévénement est essentiel. Un employeur quiprévoit plusieurs années à l’avance la fin de sonactivité a intérêt à organiser le reclassement deson personnel ; des salariés qui anticipent suffi-samment tôt la fermeture de leur établissementpeuvent prendre des initiatives individuellespour assurer la suite de leur vie professionnelle.Toutcelanestpaspossiblelorsquetrèspeude temps sécoule entre lannonce des licen -ciements et leur réalisation. Dans cette étude,« moins d’un an » sera choisi pour définir ce« très peu de temps » et, faute de pouvoir attes-terlecaractère«imprévu»dunefermeture,onen cherchera une approximation dans la notionde « brusque fermeture », en considérant queles évènements dont on cherche à mesurer leseffets se caractérisent par une chute rapide deseffectifsdelétablissement.Defaçonprécise,ilsagira des cas où la très grande majorité desemploisdunétablissementsontsupprimésaucours d’une même année civile. Cette conven-tion ne peut être quune approximation du phé-nomène à étudier.Létenduedelévènementdanslespaceestaussi importante que son étendue dans le temps.Dans certains cas, une entreprise ferme brusque-ment en totalité. Dans dautres cas, alors quellepossède plusieurs implantations, elle décidedabandonner seulement un site ou quelquessites. Pour les salariés de ces sites, le choc est demême nature. C’est donc à une notion de « fer-meture locale » que l’on s’est attaché ici. Maiscettenotionméritedêtreprécisée:ellenepeutpas être assimilée à la fermeture dun établis -sement.Eneffet,ilarrivefréquemmentquuneentreprise possède plusieurs établissements surun même site, et ferme lun deux dans le cadreduneréorganisationlocale,sanslicenciementdes salariés : de tels cas ne correspondent pasaux chocs que l’on souhaite étudier. La défini-tion précise retenue dans cette étude fait blocdesétablissementsdunemêmeentreprise(1)1dansunemêmezonedemploi,ausensdudécoupage de la métropole en 348 zones réaliséen 1994. Il y a « brusque fermeture » lorsque1. « Unité légale » (SIREN).