In: Revue d'Ecologie et de Biologie du Sol, 1986, 23 (1), pp.89-118. Après avoir introduit cette étude dans le cadre du projet PIREN-CNRS "Conséquences des monocultures de résineux et alternatives possibles", les auteurs décrivent trois stations permanentes qu'ils ont prospectées pendant cinq années. Dans ces stations se sont développées des futaies de 35 ans sur un sol argilo-sableux hydromorphe. Il s'agit de: a) un peuplement de chêne avec un humus de type mull acide; b) un peuplement de pin sylvestre avec un humus de type dysmoder et un niveau de pseudo-gley proche de la surface; c) un peuplement mélangé de chêne et de pin sylvestre avec un humus de type mull-moder. Le climat et la chute de litière ont été également étudiés. Les données relatives aux groupes de microarthropodes (Acariens, Oribates et Collemboles) montrent une forte corrélation entre le type d'humus et la composition spécifique, mise en évidence à l'aide d'une analyse factorielle des correspondances de BENZECRI. Une autre étude relative à onze peuplements adultes, tant purs que mélangés, montre que le taillis de charme en sous-étage a une influence directe sur les populations du sol, atténuant le pouvoir dégradant des peuplements purs de pin sur le sol. D'autres paramètres populationnels tels que la distribution verticale ont été également analysés et comparés. Les Nématodes ont été aussi échantillonnés et la distribution des groupes trophiques montre un effet dépressif des pins à l'égard des bactériophages, au profit des mycophages. A l'intérieur de la macro faune, les Diplopodes ont été particulièrement étudiés et le comportement alimentaire des espèces les plus représentatives a été établi. Les données de population montrent que les grandes espèces ingérant de la litière sont pratiquement absentes de la station résineuse tandis que les espèces n'ingérant pas la litière telles que le petit Polyzonium germanicum prédominent nettement.
Dans le cadre de l'étude de l'influence des monocultures de résineux sur la biologie des sols forestiers et
de la recherche d'alternatives possibles, le site de la Forêt domaniale d'Orléans, bien que ne possédant pas un
grand nombre d'essences forestières (essentiellement du chêne rouvre et du pin sylvestre), nous a semblé * Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet PJREN-C.N.R .S. «Influence des monocultures de résineux et alternatives possibles»
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particulièrement intéressant par sa richesse en peuplements mélangés, notamment dans le Massif d'Ingrannes
(MILLERET, 1963). Le pin sylvestre a été introduit dans cette forêt en 1867, où décision a été prise de transformer
e certains taillis-sous-fûtaie en fûtaies résineuses. Ce reboisement a été intensifié en 1887, jusqu'à la fin du XIX
siècle. Depuis, la gestion s'est stabilisée autour du maintien des peuplements feuillus dans les meilleures
parcelles et de l'extension progressive de l'enrésinement sur les sols les plus pauvres. Depuis une quinzaine
d'années d'autres essences de conifères ont été plantées en plus du pin sylvestre: pin laricio, sapin de Douglas,
Abies grandis, etc... Les peuplements mélangés de chêne et de pin sylvestre traduisent le succès de l'implantation
du pin sylvestre et son bon voisinage avec le chêne et le charme (souvent très abondant en sous-étage même sur
sols acides).
L'essentiel de notre étude a porté sur le suivi, pendant un an et un trimestre, de la faune et de la
microflore du sol dans trois peuplements jeunes (35 ans d'âge en 1978, année du début des prospections) proches
de Vitry-aux-Loges (Loiret), situés à proximité l'un de l'autre. Le peuplement mélangé considéré, situé en
bordure de la parcelle enrésinée, constitue une relique (bien que les arbres les plus anciens y aient été coupés) de
l'état de la parcelle avant la plantation du pin sylvestre. On y trouve aussi quelques arbres plus âgés (50-60 ans).
Le choix de peuplements jeunes était dicté par le fait que nous souhaitions mettre en évidence les effets à court
terme de l'enrésinement. Si les effets sur le sol des jeunes plantations de résineux sont très nets dès les 30
premières années (HAMILTON, 1965; PAGE, 1968; NIHLGÅRD, 1971), les effets à long terme sont parfois
contradictoires et ont fait l'objet parfois de vives controverses (PAGE, 1968; NOIRFALISE et VANESSE, 1975;
WILLet BALLARD, 1976; BONNEAU, 1978). Parallèlement à cette étude, une dizaine de peuplements adultes (100
ans ou plus) ont cependant été prospectés, dans le Massif d'Ingrannes et de Lorris, mais de façon ponctuelle et
seulement sur les Collemboles (PONGEet PRAT, 1982).
Les chercheurs travaillant au sein de notre groupe sur les peuplements de la faune du sol avaient mis en
évidence la valeur indicatrice de divers groupes zoologiques vis-à-vis du type de sol (ARPIN, 1979; PONGE,
1980). Il nous a donc paru fondé d'utiliser ces 'connaissances, et en tester ainsi la validité, sur des sites nouveaux,
dans le cadre d'un problème d'écologie appliquée. De même, l'un d'entre nous, grâce à la connaissance des
rapports entre le métabolisme des Collemboles et leur substrat nutritif, acquise dans le cadre de recherches
fondamentales (KILBERTUSet VANNIER, 1981; TOUCHOTet al., 1983; VANNIER, 1985) a pu utiliser une espèce
élevée au laboratoire comme outil pour tester la valeur alimentaire de la litière (feuilles, aiguilles, écorce) dans
les 3 stations étudiées. L'intérêt des résultats des études faunistiques nous a d'ailleurs incité à approfondir la
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connaissance du rôle des organismes du sol dans la formation des humus forestiers et des études sont en cours,
que nous évoquerons brièvement dans cet article, pour mieux comprendre le fonctionnement de ces humus d'un
point de vue biologique (PONGE, 1984, 1985a et b).
I. −DESCRIPTION DES STATIONS FORESTIÈRES
A)Situation géographique et climatologie locale.
La forêt d'Orléans s'étend sur un vaste arc de cercle au nord de la vallée de la Loire. Couvrant une
superficie de 34 565 ha, elle est divisée en trois ensembles: à l'ouest le massif d'Orléans (6 550ha), à l'est le
massif de Lorris (14 385 ha) et au centre le massif d'Ingrannes (13 620 ha). En raison de sa richesse en
peuplements mélangés (notamment en fûtaies et taillis-sous-fûtaie mixtes de chênes rouvres (Quercus petraeaet
Q.robur) et de pins sylvestres (Pinus sylvestris) jouxtant des peuplements purs de ces espèces, c'est dans le
massif d'Ingrannes que nous avons choisi d'implanter les trois stations de l'étude principale (Fig. 1). Elles sont
situées près de Vitry-aux-Loges, à 28 km à l'est d'Orléans. Il s'agit des parcelles 740 (résineuse et mixte) et 697
(feuillue).
La température a été enregistrée au-dessus et en-dessous de la litière dans la parcelle feuillue (de janvier
1981 à août 1982). On remarque un réchauffement progressif à partir du mois de février (moyenne mensuelle
minimale 0 à 1,5°C), jusqu'aux mois de juillet ou d'août (moyenne mensuelle maximale 18 à 18,5°C) suivi d'un
abaissement rapide de la température en novembre. L'influence de la litière se manifeste uniquement par
l'abaissement des écarts thermiques journaliers (1°C sous la litière contre 3°C au-dessus) et des moyennes
mensuelles minimales plus hautes (0,5 à 2,5°C sous la litière, soit 0,5 à 1°C en plus).
La pluviométrie, mesurée dans deux stations météorologiques voisines (Combreux et Chambon-la-
Forêt) montre, outre les variations saisonnières du climat tempéré atlantique, de grandes irrégularités, elles aussi
typiques de ce climat, avec des précipitations mensuelles anormalement basses en avril 1980 (15 mm à
Combreux, 7 mm à Chambon, identiques au mois d'août de la même année) et en avril 1982 (10 mm), et
anormalement élevées en juillet 1980 (80 mm), mai 1981 (145 mm) et juin 1982 (125 mm), le maximum absolu
sur la période 1980−1982 étant en octobre 1982 (155 mm). D'une manière générale, on peut dire que, si l'année
1980 correspond à peu près aux normes régionales (50 mm par mois en moyenne), faibles comparativement à
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l'ensemble du Bassin parisien (MILLERET, 1963), l'année 1981 s'est avérée nettement plus pluvieuse (840 mm
contre 640 mm à Bricy, moyenne calculée sur 40 ans).
B)Végétation et chute annuelle de litière.
La station feuillue (parcelle 697) est constituée par un haut-perchis de chêne sessile de 35 ans d'âge,
provenant de la conversion d'un ancien peuplement àQuercus petraea. La végétation correspond à la forêt
thermo-acidiphile de chêne et d'alisier (Peucedano-Quercetum1967): cette association est sous la Br.-Bl.
dépendance d'un climat atlantique déjà atténué, résultant d'une diminution des
précipitations et d'une
augmentation des écarts thermiques et des températures estivales, et se différencie par la présence de
Peucedanum gallicum etSorbus torminalis. Cette association, d'abord rattachée à l'alliance duQuercion
occidentale par BRAUN-BLANQUETappartient maintenant, selon D (1967) ELELIS-DUSOLLIER et GEHU (1974) à
l'alliance atlantique desIlici-Fagion, caractérisée dans notre parcelle par la présence des différentielles suivantes:
llex aquifolium,Hedera helix etRuscus aculeatus. Nous y retrouvons la plupart des espèces de la chênaie