Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport à Madame la Directrice Générale de lINRA Olivier Godard*Bernard Hubert**Rapport intermédiaire de mission 23 Décembre 2002 ___________________________________________________________________________ Le principal défaut de la plupart des pseudo-définitions du développement tient au fait quelles sont généralement fondées sur la manière dont une personne (ou un ensemble de personnes) se représente(nt) les conditions idéales de lexistence sociale. (...) si le développement nest quun terme commode pour résumer lensemble des vertueuses aspirations humaines, on peut conclure immédiatement quil nexiste nulle part et quil nexistera probablement jamais ! Gilbert Rist,Le développement. Histoire dune croyance occidentale, 1996 Une politique scientifique cherchant à promouvoir le développement durable ne peut donc se fier à une rhétorique de bonne volonté. Si tout ce qui promet de constituer un facteur de progrès pour lindividu, la collectivité, le travailleur, la qualité de la vie ou la santé peut être relabellisé, redéfini comme sinscrivant dans la politique du développement durable, le scepticisme auquel il sagit de résister sera justifié. Ce thème deviendra un fourre-tout rassemblant des recherches qui auraient fort bien pu relever dun autre programme. Et lon pourra finir par se demander quelles recherches jugées dignes dêtre subventionnées par les pouvoirs publics ne relèveraient pas du développement durable Isabelle Stengers, Prendre au sérieux le développement durable ? , 1998
*Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire déconométrie de lEcole polytechnique, Paris. **à lINRA, chef du département Systèmes agraires et développement (SAD).Di ecteur de recherche r
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Sommaire
1.Introduction...........................................................................................................32. Retour sur l histoire des idées............................................................................. 5 2.1. Le développement, un concept toujours en débat ................................................... 5 2.2.Leprécédentdelécodéveloppement........................................................................62.3. L entrée en scène du développement durable.......................................................... 8 2.4. Des interrogations et des inquiétudes partagées................................................... 10 3. La signification du développement durable pour la recherche scientifique . 14 3.1.Questionsdepositionnementpourlarecherche...................................................143.2. L espace étroit de pertinence de la référence au développement durable pour la recherche ......................................................................................................................... 16 3.3. Reprendre la réflexion sur les objets et les postures disciplinaires de recherche .......................................................................................................................................... 17 4.Premierrepéragedethèmesderechercheenréférenceauxmissionsdel INRA ....................................................................................................................... 21 4.1. Éléments de cadrage : temporalités, diversité, modèles de recherche, techniques et technologie .................................................................................................................. 21 De nouveaux enjeux .................................................................................................... 21 Réintégrer les marges au sein des objets légitimes de recherche ................................ 23 Les techniques agronomiques et agroalimentaires ...................................................... 25 Innovation et risques technologiques ........................................................................... 28 4.2 Les priorités de l INRA : agriculture, environnement et territoires, alimentation.. 29 Agriculture et développement durable.......................................................................... 29 Ré-interroger linsertion territoriale ............................................................................... 33 De la sécurité à la sécurisation alimentaire .................................................................. 36 4.3. Recherche, action publique et développement durable......................................... 39 Des politiques publiques en quête de désectorialisation .............................................. 39 Les pays en développement, les rapports Nord-Sud et la gouvernance mondiale........ 42 5. Les démarches, l organisation et les procédures à l INRA : un premier repérage................................................................................................................... 45 5.1. Identifier des priorités .............................................................................................. 45 La dimension temporelle des recherches de lINRA : mieux articuler prospective et orientations de recherche............................................................................................. 45 Lexpertise, une activité daval à boucler sur lamont de la recherche .......................... 46 Agir en partenariat ....................................................................................................... 46 5.2. Renouveler certaines pratiques de recherche ........................................................ 49 Une préoccupation stratégique permanente pour la diversité des recherches et lentretien dun pluralisme des modèles ....................................................................... 49 Une nouvelle façon de faire de la recherche ? ............................................................. 50 Revisiter les conditions du partenariat avec luniversité................................................ 51 5.3. Motiver les chercheurs et adapter leur évaluation ................................................. 52 Anticiper les besoins de compétence ........................................................................... 52 Evaluer les équipes et les chercheurs.......................................................................... 53 CONCLUSIONS ....................................................................................................... 56 Références bibliographiques................................................................................. 57
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1. Introduction
En une quinzaine dannées, la problématique du développement durable sest imposée sur lagenda politique et économique. Elle compte désormais au nombre des valeurs que la société française, les peuples européens et la communauté internationale désirent promouvoir pour organiser leur développement dans la paix et préserver lexistence dun monde viable, y compris dans sa dimension environnementale. Dans ses mécanismes et ses équilibres essentiels, pour les ressources quelle recèle et les fonctions utiles quelle remplit, la nature constitue pour eux un patrimoine commun auquel il faut veiller. Traités et lois le proclament. Cette problématique se décline dans des programmes daction aux différentes échelles, internationale, communautaire, nationale ou locale, certes avec un contenu particulier à chaque échelon. La problématique du développement durable se veut également réflexive par rapport aux effets et conséquences du type de mondialisation qui sest engagé depuis deux décennies. Elle attire lattention sur les risques que le développement des uns se nourrisse du sous-développement des autres ; elle vise à surmonter la fracture entre le Nord et le Sud et à mieux intégrer les processus économiques, sociaux et écologiques au service de la satisfaction des besoins des populations, sans nier les différences considérables existant dun pays à lautre. La prise de conscience que manifeste lémergence de cette problématique sest réalisée sur fond dun tableau qui donne à voir nombre de phénomènes de dégradation, de cercles vicieux, de crises et dévolutions inquiétantes, au côté de succès et de progrès économiques et sociaux incontestables dans lordre des gains de productivité, de lessor de la production, mais aussi des progrès de la santé et de la qualité de vie. La perception sest cependant diffusée, durant le dernier tiers du XX° siècle, que les avancées étaient toujours en retrait sur les besoins, tout en se payant de contreparties amèrement négatives. Cest lorsque les perspectives du développement sont devenues plus fragiles et plus inquiétantes et que le paradigme de la maîtrise est entré en crise, que le souci pour un développement durable sest affirmé. Cette idée nest pas la forme conceptuelle donnée à une réalité vécue, cest lexpression dune aspiration dont le contenu est inversé par rapport à lexpérience la plus courante. Nous voulons un développement durable parce que nous doutons que le développement dont nous avons lexpérience soit durable. Tout cela concerne lagriculture française au plus haut point. Après une cinquantaine dannées de transformations économiques, sociales et démographiques rapides et dédiées principalement au progrès de la production et de la productivité, elle se trouve en situation de devoir se remettre en cause de façon profonde sous leffet de plusieurs évolutions, telles les nouvelles demandes des consommateurs, lévolution des règles du commerce international, lélargissement de lUnion européenne aux pays est-européens. Lévolution de lagriculture depuis les années 1950 en France a été sous-tendue, accompagnée, stimulée par la recherche publique et tout particulièrement celle qui a été menée au sein de lINRA. Cette recherche ne peut évidemment pas rester indifférente aux nouveaux enjeux qui attendent lagriculture et aux réorientations appelées par le projet dun développement plus durable, même si la recherche ne part pas de rien face à des thématiques qui nont pas surgi dun coup dans le paysage intellectuel.
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire- 4 -______________________________________________________________________ Afin de rendre ces questions traitables par la recherche, la responsabilité des chercheurs est dintroduire des classifications, de distinguer des thèmes, des objets et des questions, en dépit de leur enchevêtrement, afin de dégager des prises pour la production de connaissances qui soient tout à la fois scientifiques et pertinentes. Le présent rapport est le rapport intermédiaire dune mission qui a été confiée aux deux rapporteurs par Madame la directrice générale de lINRA : en premier lieu, faire le point sur le positionnement possible de létablissement et sur les problèmes dorganisation de la recherche du point de vue du développement durable ; en second lieu faire des propositions dorientations visant à compléter ou ajuster lexistant de façon que lInstitut réponde encore mieux aux attentes des pouvoirs publics et de ses différents partenaires du point de vue de la contribution de lagriculture au développement durable du pays. Dans cette première étape de leur mission, les rapporteurs ont procédé à des entretiens avec des personnalités extérieures à lINRA, à lanalyse dévénements divers reliés à la problématique du développement durable ainsi quà lexamen de documents, scientifiques ou non, traitant de la question. Ce premier rapport est destiné à être mis en discussion au sein de lInstitut ; il présente des éléments et points dappui pour une réflexion plus opératoire qui débouchera dans une étape suivante sur des propositions concrètes qui seront rassemblées dans un rapport final de mission fin mars 2003. Le rapport intermédiaire qui suit est ainsi constitué de quatre parties : (1) un retour sur les jalons de la formation de la notion de développement durable au sein des conceptions du développement depuis les cinquante dernières années ; (2) la signification du développement durable pour la recherche scientifique ; (3) un premier repérage de thèmes de recherche pertinents pour lINRA, repérage qui sadresse en premier lieu aux chercheurs et responsables de dispositifs et programmes de recherche et (4) un autre repérage visant les démarches, lorganisation et les procédures de recherche à lINRA, qui sadresse davantage aux responsables de la hiérarchie scientifique et aux instances dappui à la recherche de lInstitut. De façon à illustrer nos propos, nous avons inséré quelques exemples concrets sous forme dencadrés.
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2. Retour sur l histoire des idées
2.1. Le développement, un concept toujours en débat Sagissant de la France, le mouvement didées et dinitiatives qui se forme autour de la problématique du développement durable a été largement inspiré par le débat international, à travers les discussions et négociations menées dans le cadre de lONU sur le développement et lévolution des rapports Nord-Sud. Cest en particulier un rapport sur lenvironnement et le développement préparé à la demande de lAssemblée générale des Nations Unies par une commission présidée par Madame Gro Harlem Brundtland qui a beaucoup fait, à partir de 1987, pour populariser le vocable dans le monde entier et faire reconnaître son inspiration par une formule : le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins. Ainsi était affirmé le principe dun double refus : ni dictature du présent, ni dictature du futur, en même temps quétait posé un principe intellectuel : les obligations des générations présentes vis à vis des générations futures devaient être pensées dans le registre des capacités, pas celui des réalisations, qui engagent la responsabilité des intéressés. Cette novation dans lordre du langage que représente le développement durable sinscrit dans une histoire, celle de la pensée du développement économique et social. On est ainsi dabord passé de la croissance économique, dont Walter Rostow (1952) avait cru pouvoir tracer les étapes nécessaires, au développement en prenant en compte à la fois les changements sociaux et institutionnels requis au-delà de laccroissement de la production et du revenu, et un souci humaniste pour le développement de lhomme . Le rôle central de léducation pour la formation du capital humain , notamment la nécessité de permettre aux petites filles daccéder au savoir comme élément clé du changement social et de laccélération de la transition démographique et limportance des politiques sanitaires sont devenus des thèmes légitimes dans les cercles onusiens, même chez les financiers de la Banque mondiale. Cependant, sous légide du développement, labord des questions demeurait encore marqué par les clivages traditionnels, avec des politiques de formation, de santé et des politiques sociales venant se juxtaposer, tant bien que mal, à des politiques économiques et industrielles ou des politiques de développement des infrastructures (routes, transports urbains, approvisionnement en eau et assainissement, télécommunications). Il est apparu que cette juxtaposition débouchait fréquemment sur un gaspillage des énergies et des ressources, les actions des uns venant défaire celle des autres ou manquant des appuis nécessaires de la part des autres pour se réaliser de façon efficace. Vint alors la préoccupation pour le développement intégré ou lapproche intégrée au développement économique et social , ou encore la planification intégrée du développement , qui visait notamment à rapprocher une planification économique, une planification sociale et une planification territoriale. De façon parallèle, le tournant des années soixante fut celui de lémergence de linquiétude écologique et de la reconnaissance politique internationale de la question de lenvironnement planétaire. Dans le champ du développement, le point de départ a été donné par un double constat :
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire- 6 -______________________________________________________________________ (a)dun côté, les actions de développement menées dans les pays du Sud avaient souvent des conséquences très négatives pour lenvironnement naturel (ressources, biotopes, sols, biodiversité) de ces pays, du fait dune combinaison de facteurs : inadaptation de techniques dérivées de modèles techniques occidentaux à des pays dont les conditions naturelles étaient très différentes ; manque de maîtrise locale des conditions de bonne mise en uvre de ces techniques ; ignorance, de la part des développeurs, des objectifs, priorités et référents culturels des populations locales dont dépendait concrètement la bonne réalisation des projets ; insuffisance des institutions (infrastructure administrative) et des mécanismes économiques en place au regard de ceux qui seraient nécessaires pour assurer à la fois une organisation économique fluide (accès aux marchés des biens et du crédit) et une régulation satisfaisante des usages des ressources naturelles (clarification des droits de propriété et dusage). Un des ouvrages scientifiques importants de cette époque avait pour titre The careless technologyet Farvar, 1972) et montrait bien de (Milton façon concrète en quoi les actions de développement et de transfert de techniques menées sous légide des organismes de coopération internationale, multilatérale ou bilatérale, avec lappui des organismes de recherche technique des pays occidentaux, étaient à lorigine de nombreux et inquiétants phénomènes de dégradation.(b)de lautre côté, cette dégradation de lenvironnement se transformait elle-même en obstacle à lamélioration de la situation des populations les plus démunies et à limplantation dun développement plus satisfaisant, en particulier parce que la dégradation de lenvironnement saccompagnait de celle des ressources naturelles dont certains groupes tiraient leur subsistance : que faire quand les ressources sont détruites dans un milieu devenu globalement hostile et dangereux, en particulier du point de vue sanitaire ? que faire quand la population active est sous lemprise de la malnutrition et de maladies endémiques dont certaines sont directement liées à létat du milieu et à labsence de services de base (accès à une eau assainie) et que cette population doit consacrer une part croissante de son temps et de son énergie à sa seule survie (la collecte du bois de feu ou le portage deau) ? Il est également apparu que, jointes aux défaillances institutionnelles (faiblesse du droit), les situations dextrême pauvreté poussaient à la dégradation de lenvironnement à travers une pression sur les ressources et labandon de pratiques dentretien du milieu. Il a fallu se rendre à lévidence : les stratégies conventionnelles de développement participaient souvent à lentretien dun cercle vicieux entre la raréfaction des ressources en accès libre, lexclusion sociale, la pauvreté des exclus et la destruction de milieux naturels complexes soumis à une simplification par des cultures de rentes, quand bien même les gains de productivité rendus possibles par le progrès technique agricole (la révolution verte ) permettaient, selon les cas, à une minorité ou à une petite classe moyenne, de voir sa situation économique saméliorer de façon significative et à la production de saccroître de façon importante.
2.2. Le précédent de l écodéveloppement Parallèlement aux préoccupations de terrain touchant aux impacts écologiques et sociaux des projets de développement, un autre débat a pris forme autour dune alerte à caractère planétaire : cest à léchelle du globe que la poursuite du développement démographique et économique de lhumanité serait devenue incompatible avec la préservation des principaux équilibres constitutifs de la biosphère. Halte à la
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire7 --______________________________________________________________________ croissance ! disait en français le premier rapport du Club de Rome (Meadows, 1972). Demain la décroissance, lui répondait en écho luvre de Nicholas Georgescu-Roegen (1979). Pour ce courant prônant une remise en cause radicale du projet même du développement, laccumulation des pollutions et la raréfaction des ressources naturelles obligeraient lhumanité à changer de cap, voire à inverser la machine. Pour Herman Daly, disciple de Georgescu-Roegen, il fallait mener léconomie mondiale vers un état matériellement et énergétiquement stationnaire, ce qui ne manquerait pas de soulever de formidables problèmes de transition : contrôle drastique de la démographie, transformation profonde des règles du jeu de léconomie et caractère proéminent des enjeux dune justice distributive entre les peuples et à lintérieur de chaque société. Face à ces représentations teintées de catastrophisme et de radicalisme, sest affirmé dès les années soixante-dix un courant qui, issu de la tradition de la pensée du développement (François Perroux, Louis-Joseph Lebret, Gunnar Myrdal, Amartya Sen, Colin Clark, Karl Kapp ), visait à concevoir les stratégies permettant dinsérer la protection de lenvironnement et des ressources naturelles dans un mouvement combinant réaffirmation de lobjectif du développement et réorientation profonde de ses priorités, de son contenu et de ses modalités. Ce fut, de 1973 à 1979, le temps de lécodéveloppement naissant (I. Sachs, 1974, 1980). Quelques idées clés en formaient larmature : - dans un monde aux besoins économiques et sociaux pressants, une approche conservationniste de la nature, voyant dans lactivité humaine la perturbation dune nature qui, sans elle, serait équilibrée, était indéfendable sur le plan axiologique et totalement irréaliste sur le plan politique ; la protection de lenvironnement devait se penser de lintérieur des stratégies de développement ou demeurer confinée dans la marginalité. Cest lorsque les hommes tirent leurs ressources dun milieu quils peuvent être le plus enclins à se soucier de lentretien de ce milieu et de la sauvegarde de ses ressources, sans que cette condition nécessaire soit suffisante. Cest dune certaine manière ce quavait compris lUICN à loccasion de ladoption en 1980 de sa Stratégie mondiale de la conservation qui, pour la première fois, avait fait référence à lidée de développement durable comme horizon nécessaire de toute action de protection de la nature ; - le développement devait sattacher de façon prioritaire à satisfaire les besoins fondamentaux, matériels et immatériels, des populations les plus démunies et non pas se préoccuper des seules demandes solvables ; il devait sagir de favoriser la prise dautonomie des personnes (concept de capabilités de A. Sen et de mode de production autonome de I. Illich) et des populations, sans confondre autonomie et autarcie ; - les choix techniques (de process et de produits) constituaient la variable clé de lharmonisation des différents objectifs poursuivis par la société et étaient le lieu de larticulation principale entre sociétés et nature ; une place essentielle devait être accordée à la recherche dalternatives techniques ; il fallait notamment viser ladaptation des techniques aux caractéristiques naturelles et sociales des différentes régions du monde (problématique des techniques appropriées), au lieu de vouloir adapter milieux et populations aux techniques inventées par et pour lOccident développé ;cela ne devait en rien exclure les apports de la science moderne, mais demandait que ses applications technologiques soient développées en tenant davantage compte du contexte précis de leur insertion ; cela pouvait notamment déboucher sur des stratégies de techniques combinées, insérant des
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire- 8 -______________________________________________________________________ maillons modernes de haute technologie dans des séquences techniques reposant sur des activités de main duvre de qualification faible ou moyenne. - on devait chercher à concevoir des enchaînements productifs qui permettaient de boucler les cycles de la matière en faisant des déchets une ressource, autant quil serait économiquement raisonnable, afin, tout à la fois, de réduire la pression sur les ressources vierges et de limiter les rejets polluants1; - lexigence de solidarité diachronique avec les générations futures devait sexprimer notamment à travers la préservation des potentiels de ressources renouvelables et le ménagement des ressources non renouvelables ; - le processus décodéveloppement ne pouvait pas résulter des seuls mécanismes de marché mais nécessitait linstitution dun processus de planification à plusieurs niveaux ; au niveau central, à léchelle dun pays ou dune région, le rôle dune instance de planification ne devait pas être de planifier den haut toute production, mais de coordonner la mobilisation des ressources nécessaires à la répartition de moyens spécifiques (compétences, équipements, capitaux) aux populations, communautés et sociétés locales, moyens dont labsence apparaissait comme un obstacle majeur à la mobilisation de ressources disponibles localement ; conformément au principe de subsidiarité, le rôle général du centre était de lever les obstacles au développement local, idée qui permettait de retrouver létymologie : développer, cest dégager le grain de son enveloppe ; au niveau local, la planification devait se faire animation et coordination participative en associant les populations concernées à la fois à la conception et à la mise en uvre pratique des actions de développement ; - enfin, tout ceci nétait pas généralisable sans une transformation profonde du régime des relations économiques internationales, qui ne devait pas être abandonné aux seules logiques commerciales et financières. En particulier, il sagissait de stabiliser les cours des matières premières exportées par les pays en développement dans le cadre de contrats dapprovisionnement de longue durée ; dorganiser la coopération scientifique et technique pour favoriser les capacités locales dappropriation et dadaptation des nouvelles technologies mises au point au Nord comme au Sud ; de dégager à partir de lactivité des pays du Nord des ressources régulières en quantités importantes destinées à financer linvestissement dans lécodéveloppement des pays du Sud. On parlait alors de nouvel ordre économique internationalCette approche de lécodéveloppement a été adoptée comme un de ses mots phares par le Programme des Nations Unies pour lEnvironnement jusquà la fin des années soixante-dix. Il a été abandonné à partir de 1980 pour des raisons politiques : son contenu était trop critique, trop radical et trop particulier pour être soutenu par les grandes puissances occidentales.
2.3. L entrée en scène du développement durable Cest au moment où lécodéveloppement connaissait la relégation internationale que le vocable développement durable a été mis en circulation. Moins précis dans ses contours initiaux, moins exigeant dans son contenu politique et économique, il 1aujourdhui devenu linspiration principale de ce quon appelle lécologie industrielle (Erkman, Cest1998).
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire- 9 -______________________________________________________________________ affichait lenjeu sans trop savancer sur les moyens (types de techniques, organisation économique, réformes politiques) susceptible de le porter. Il était donc acceptable par de multiples parties qui estimaient pouvoir en faire un usage utile au service de leur cause, mais qui seraient en désaccord sur les moyens et sur les réformes à opérer. Doù sa très large acceptation par les milieux les plus divers : les grandes entreprises et les États, comme les ONG, se réclament aujourdhui du développement durable. Sur léchiquier français, quasiment tout le spectre politique se recommande désormais,mezzo voce, dun développement durable. Cela nempêche pas des analystes de différents bords dexprimer leur scepticisme ou leur irritation. Les intellectuels qui prennent des postures de rupture avec lorganisation économique et sociale actuelle y dénoncent le faux nez du capitalisme (Harribey, 2002) ou les illusions de la domination occidentale. En finir, une fois pour toutes avec le développement , demandent aujourdhui un Serge Latouche (2001) et les tenants du non-développement qui voient dans cette aspiration-processus quest le développement le mirage de loccidentalisation du monde. Dautres au contraire font du développement durable le vecteur de leurs thèses extrêmes, feignant de croire que ce nouveau vocable leur confère nécessité et vérité. Cest ainsi que le développement durable a attiré toutes sortes de discours utopiques et révolutionnaires. En dépit de ces ambiguïtés, le développement durable cristallise de nos jours les débats au Nord comme au Sud. Il porte avec lui la prise de conscience des impacts à léchelle de la Planète non seulement des actions menées au Sud ou au Nord mais également des interactions entre différentes parties du Globe. Ces dernières sont désormais liées entre elles de façon objective par une interdépendance à laquelle il manque de trouver son répondant en termes de solidarité assumée et de gouvernance. Le récent Sommet mondial de Johannesburg a été une parfaite illustration tant du besoin que de labsence dune réponse à la hauteur. De leur côté, les grandes firmes ont très largement investi la thématique du développement durable2Certaines y voient de nouveaux enjeux dinnovation. technologique dans des domaines jusquici peu explorés et encore mal codifiés (déchets, biotechnologies, ressources potentielles de la biodiversité, etc.), sans que la preuve ait encore été faite que les perspectives prometteuses seront capables de se transformer en débouchés effectifs de grande ampleur Dautres y voient la perspective de nouveaux marchés autour de la solvabilisation, dans le cadre de partenariats public/privé, de laccès à des biens fondamentaux (basic needs) auxquels tout être humain devrait pouvoir avoir accès (eau, énergie, assainissement, médicaments contre les épidémies). La satisfaction concrète de ces besoins fondamentaux passe cependant par des efforts considérables dinnovation à la fois institutionnelle, technologique et économique pour assurer ladaptation des services à une grande diversité de situations, le plus souvent assez éloignées de celles des pays industrialisés dans lesquels ces firmes ont fait la preuve de leur efficience. La plupart, cependant, abordent cette thématique non principalement parce quelle générera une croissance importante de leur activité mais, plus prosaïquement, parce quelles ont le sentiment que les entreprises qui ne prendraient pas ce virage sexposeront à un moment ou à un autre (accident technologique, dégradation de la situation économique et sociale dans certains pays en développement) à une mise en cause frontale de la légitimité de leur activité, dont elles 2 Lintérêt manifesté par des institutions financières et des entreprises publiques et privées pour les activités de lIDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales), récemment créé en France, témoigne de cette nouvelle attitude de nombreuses grandes entreprises.
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire- 10 -______________________________________________________________________ pourraient ne pas se remettre aisément (cf. les précédents, à des échelles très différentes, de Perrier et dUnion Carbide, des cigarettiers aux États-Unis ou des retraits de Aventis et Novartis de lagrochimie, et de Bayer de la pharmacie). Du point de vue scientifique, ce sont les économistes, cétait bien naturel sagissant de développement, mais aussi les écologues et les physiciens, cétait bien naturel sagissant dapprécier la soutenabilité écologique, qui se sont le plus attachés depuis trente ans à étudier différents problèmes et enjeux du développement durable. Les thèmes couverts sont très divers, allant de lanalyse de problèmes comme celui du changement climatique planétaire ou des stratégies de diffusion dinformation sur les performances des entreprises, à létude plus abstraite des arbitrages intertemporels entre générations éloignées en relation avec la croissance économique et ses retombées écologiques, en passant par léconomie de linnovation technique. La diversité dinspirations théoriques qui animent ces travaux, entre travauxmainstreamet travaux critiques, ne laisse pas augurer une stabilisation prochaine autour de conceptions consensuelles. Géographes, politistes, agronomes, philosophes (Zaccaï, 2002) se sont également saisi de la problématique avec leurs prismes particuliers. Même des mathématiciens ont voulu apporter leur contribution autour de la théorie de la viabilité !
2.4. Des interrogations et des inquiétudes partagées Le développement durable constitue une catégorie sémantique qui trouve sa source dans le registre de lidéologie, au sens neutre densemble de valeurs et didées mobilisatrices pour laction, plus que dans celui de la science. Coextensive à plusieurs univers symbolique, technologique, économique et politique -, cette catégorie affiche des enjeux et une ambition plus quelle ne définit par elle-même des moyens et des critères et quelle ne débouche sur la mesure dune grandeur définie. Elle a été promue et appropriée en différents lieux sociaux, mais limpulsion principale est venue de lespace des politiques internationales et des réseaux dexperts mondiaux travaillant en lien avec lOrganisation des Nations unies, dautres organisations intergouvernementales (OCDE,) et les grandes ONG dédiées à la protection de lenvironnement et à la recherche dalternatives de développement. Son contenu fait lobjet dadaptations négociées et de réajustements qui salimentent certes à la réflexion et à la recherche, mais aussi aux enjeux pratiques de différents domaines daction. La coïncidence entre lexpression denjeux portés sur lagenda public international et une relative plasticité du contenu a beaucoup contribué à sa diffusion et sa propagation. La notion apparaît comme la clé de voûte de la recherche de nouvelles manières dagir à travers des programmes, des projets pilotes et des conventions internationales (Tubiana, 2000). Les questions soulevées sortent en effet des découpages habituels : le développement durable nest pas attribuable à un département ministériel bien identifié, par exemple les services en charge de la coopération pour le développement avec les pays du Sud ; il interpelle potentiellement tous les domaines de laction publique ; il est aussi un référent adopté par la société civile, les grandes entreprises et les collectivités locales (réseau des villes durables). Le développement durable est devenu une référence partagée par différents types dacteurs économiques et sociaux. Cette percée sest produite dans une période où les pouvoirs publics et les agents privés, individuels ou collectifs doivent définir leurs objectifs et modalités daction dans un contexte frappé dincertitude. Cette dernière touche à la fois le contexte daction propre à chacun et lévolution globale de la société en ce début de XXIème siècle. Paradoxalement, les considérables progrès scientifiques et technologiques qui ont été
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Le développement durable et la recherche scientifique à lINRA Rapport intermédiaire- 11 -______________________________________________________________________ réalisés ces dernières décennies ont certes augmenté les connaissances et étendu les capacités dutilisation de la nature, mais ils ont aussi révélé les limites de ces connaissances, sagissant tant des phénomènes naturels que des risques induits par les nouvelles technologies et par les activités humaines auxquelles elles donnent une assise. La prise de conscience que le seul développement technologique ne permettait pas de maîtriser la complexité du développement des sociétés humaines dans leurs interactions avec la nature a suscité de nouvelles interrogations, de nouvelles inquiétudes, de nouvelles peurs. La perception du caractère ambivalent de la science, et encore plus de la technologie, caractérise la conscience de lépoque : science et technique sont plébiscitées lorsquelles apportent de nouvelles solutions aux problèmes ou, plus simplement, de nouvelles facilités pour la vie quotidienne ; elles sont craintes pour les débordements et menaces nouvelles quelles induisent mais aussi, plus prosaïquement, pour les remises en cause dans les positions économiques et sociales quelles permettent ou renforcent. Cette situation met en jeu tout à la fois la responsabilité du politique et les rôles attendus des scientifiques (Weber, 1959). Elle touche à la fois lordre des faits et celui des valeurs. À leur jonction, elle pose le problème de laction collective susceptible de répondre à lambition du développement durable et tout particulièrement, dun point de vue plus technique, celui de la recherche dune meilleure intégration des actions. En effet, aussi bien la recherche que laction publique sont très largement conduites dans des cadres structurés par un découpage sectoriel et disciplinaire dont lefficacité au sein du segment choisi ne contrebalance pas nécessairement lobstacle ainsi érigé à une conception plus ample et moins cloisonnée des actions visant un développement plus durable. Au regard des problèmes soulevés, il nest pas possible de postuler la simple neutralité des activités de recherche scientifique et technique. Au-delà de ce qui touche aux priorités thématiques, la manière même dont les recherches sont conduites apparaîtra comme un facteur de facilitation ou au contraire comme un obstacle ou un frein pour des approches plus intégrées du développement économique et social, notamment lorsque la visée dintégration porte sur la dimension des risques collectifs pour la santé humaine et pour lenvironnement. Il sagit aujourdhui de réfléchir aux politiques de recherche qui permettraient de mieux éclairer les débats et dassurer un appui efficace aux stratégies de développement durable de lÉtat, des entreprises et des ONG. Quelles réorganisations, quelles priorités, quels moyens conviendrait-il denvisager dans la recherche publique afinque cette dernière contribue davantage et mieux à éclairer les débats et faciliter la mise en uvre dun développement durable ? Sagissant de lINRA, lagriculture devra être interrogée non seulement pour ce qui concerne sa viabilité propre, dont elle a su trouver les voies à travers son évolution depuis plusieurs siècles, mais aussi pour ses relations avec une société globale en transformation. Il est en particulier nécessaire de reconsidérer ses relations avec des sphères ou des dimensions dont elle sest éloignée, en pensée et en action, depuis une cinquantaine dannées, comme : - la transformation des repères alimentaires, du point de vue de la qualité et de la sécurité sanitaire tant dans les pays industrialisés que, de façon différente mais tout aussi pertinente, dans les pays en développement ; cette dimension se surajoute aux questions plus classiques des déséquilibres quantitatifs et de la maîtrise des coûts, en particulier dans des régions du globe soumises à des facteurs limitants sévères, ou exposées à des processus de dégradation intense des ressources et des milieux,