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Description
Sujets
Informations
Publié par | Odile Jacob |
Date de parution | 19 juin 2008 |
Nombre de lectures | 1 |
EAN13 | 9782738193575 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
© ODILE JACOB, JUIN 2008
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9357-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Avant-propos
Voilà longtemps que je travaille sur l’adolescence, sa clinique, la théorie de ses fonctionnements, la particularité de sa prise en charge Je voudrais aujourd’hui courir le risque d’un changement d’optique et proposer, mieux afficher, une thèse nouvelle. Cette thèse est que l’adolescence est un acte de création et aussi une expérience de création. À la puberté, l’enfant est saisi par un besoin mystérieux, énigmatique de création : il lui faut se créer lui-même, il lui faut créer de nouveaux objets autour de lui. Le voilà animé d’un besoin de génie.
Le pubertaire, tel le lion, ne bondit qu’une fois, emportant celui qui n’est encore qu’un enfant dans une histoire sans retour, imposant une réorganisation de sa vie. Créer n’est pas se projeter dans l’avenir ; c’est un acte, un état en mouvance, une exigence psychique, une recherche de style. À l’adolescence, l’engagement de créer est une urgence bien plus forte que la vie au quotidien, familiale, scolaire ou amoureuse. « Toute adolescence traverse une période de créativité », disait déjà Helene Deutsch. J’irais plus loin : au terme de plus de trente ans de pratique auprès de jeunes qui sont venus me confier leurs difficultés, leurs doutes, leurs tourments, mais aussi leurs rêves, leurs aspirations, leurs désirs les plus fous, il me semble que ce travail de création est au cœur même de l’expérience adolescente. À l’instar de l’artiste animé d’une compulsion qui le pousse à créer, l’adolescent se trouve amené, de manière prioritaire et quasi impérieuse, à investir tout ce qui peut lui permettre d’élaborer et définir son identité encore en suspens.
Je suis un défenseur ardent de la créativité adolescente. Ce qui m’intéresse, c’est la capacité imaginaire de tous ces adolescents et les mises en scène auxquelles ils s’essaient durant cette période de la vie. Lorsque celles-ci ne sont pas possibles, ou pas suffisamment, la morosité, la désolation surviennent et s’installent, alimentant toutes sortes de troubles, plus ou moins graves, plus ou moins pathologiques. Parmi les activités qui jalonnent des journées souvent chargées, un adolescent doit pouvoir trouver le temps de sa création, ce qui n’est évident ni pour lui, ni pour les autres.
Une telle conception de l’adolescence va à l’encontre de l’évolution de notre société moderne ou, plutôt, postmoderne, caractérisée par la « mort du sujet », dominée par des identités éclatées, plurielles ou communautaires, où triomphent l’indifférence, le culte de la jeunesse, l’hédonisme, le consumérisme béat, le matérialisme absolu, l’emprise de l’économique et du financier. Dans une telle configuration, l’adolescence, paradigme contemporain de tous nos désordres psychosociaux, est plus touchée, plus perturbée, – osons le mot –, plus traumatique que d’autres âges. Quelles sont les chances de survie de ses fantasmes au sein de ce que Guy Debord nommait déjà, il y a bien des années, la « société du spectacle » ? Le monde d’images préfabriquées, ce télémonde, accroche comme la drogue le drogué. Où est le plaisir ? Sous prétexte d’alléger la souffrance psychique, le souci de conformité n’annule-t-il pas la vie personnelle, corporelle et psychique, privant de son imaginaire les plus accrochés à la sensorialité qu’implique toute relation avec l’autre ? À la différence du véritable héros qui inspire l’identification, les idoles, vedettes, stars, top-modèles ne sont que les représentants de représentations sociales idéalisées, elles convoquent la plus plate imitation. Or, plus que n’importe quelle autre période de la vie sans doute, l’adolescence a besoin, pour se développer et se déployer au mieux, d’échapper à l’aliénation des images du quotidien, d’entretenir une « révolte intime », de mettre une distance face au toc des écrans, mieux, de les ramener à leur place annexe de « traces », d’occasions d’innover. Notre société lui en laissera-t-elle la possibilité ? Il faut l’espérer si on veut que nos adolescents puissent, sans trop d’encombre et sans trouble majeur, devenir, plus tard, des adultes à l’identité aussi singulière que bien établie.
Première partie
L’adolescence ou l’expérience de la création
Les approches et les définitions de la création sont évidemment multiples ; nous les rencontrerons, avec leurs différences qui se complètent, tout au long de ce livre. Arrêtons-nous d’emblée sur l’opposition fondamentale qui caractérise l’expérience. Créer, c’est d’abord affirmer une originalité partageable . Mais comment partage-t-on une différence ? Cette contradiction est présente dans tout acte créateur. Elle implique un risque et une souffrance, conduisant parfois au blocage, comme dans l’histoire suivante.
B. a quatorze ans. Lorsqu’elle consulte pour la première fois, c’est surtout sa tristesse et sa méfiance à l’égard des autres qui frappent. Les premiers moments de la rencontre sont dominés par un affect de retrait interprétatif par rapport à l’environnement. Son objectif premier est le contrôle , voire l’emprise, notamment sur ce médecin inconnu qui se trouve assis en face d’elle. À la banale demande de présentation initiale, elle ne répond pas et retourne la question : « Et vous, vous êtes qui ? » Le médecin se présente et une confiance toute provisoire s’installe. Le portrait que cette jeune fille brosse d’elle-même est dominé par la désillusion : « J’ai gâché ma vie, dit-elle… Je suis moche… Je ne sais rien… Je fume… À l’école, je suis nulle… Je suis toujours la même, je ne pense jamais à rien… » Elle se voit sans passé et sans avenir, immobilisée dans un présent morose. Craignant d’être « surprise » par cette confidence, elle passe progressivement au sentiment constant de menace qu’elle éprouve : « Je ne fais jamais confiance aux adultes… S’ils sont deux ensemble, ça me stresse… Ils sont toujours tellement sûrs d’eux… Alors, moi, je fuis ou je leur réponds violemment. » Sa grande crainte avec les psychiatres est d’être « mise en catalogue » ( sic ). Un « psychiatre glacé » lui a déjà collé l’étiquette de « dédoublement de personnalité » : pourquoi lui en voulait-il ainsi ? Elle ne sait pas. L’art d’attribuer à l’autre, en la retournant, sa propre et douloureuse agressivité est une formidable défense face à l’intrusion qu’on souhaite et qu’on redoute. Cette contradiction est résumée dans cette phrase qui revient sans cesse dans la bouche de B. : « Personne ne me comprend… » L’avidité d’être comprise le dispute à la terreur de l’être. Elle se console ou se répare un peu en affirmant : « Je sais qui je suis… Du moins, je l’espère ! » Et puis, chez cette jeune fille en apparence bien barricadée, se produit soudain un repli régressif qui entraîne une irruption abondante de larmes. Face à elle, le médecin, familier, proche et bienveillant, n’intervient pas directement, ce serait trop intrusif, mais participe à ses interrogations de façon associative ou déductive (« Je me demande si… »). L’effort de valorisation est clair dans ce qu’il dit.
Rassurée quant à la menace d’emprise dont elle se sentait l’objet, B. ose alors faire part de sentiments plus personnels. Elle parle d’elle, de ce qu’elle aime, de ce qu’elle éprouve, de sa difficulté à s’habiller, de son côté « garçonne » qu’elle tient de l’enfance et dont elle souhaiterait se défaire. Elle dit qu’elle n’a jamais été protégée. Sa mère est froide, cérébrale, pas assez tendre ; son père, qu’elle met à distance, est un « vrai plouc ». Le couple parental qu’ils forment est toujours au bord de la séparation… Comment cette jeune fille sort-elle de ses larmes ? En faisant retour vers des souvenirs émus d’enfance, au plus près du corps de sa mère qu’elle qualifie alors, inversant son propos, de « fusionnelle ». Est-ce l’image, consolatrice et rassurante, qu’elle se fait désormais de la présence de son interlocuteur qui l’y autorise ?
Une fois la désillusion acceptée, l’entrée dans l’illusion devient possible. La position de défense qui restait la sienne jusque-là cède miraculeusement. La voilà qui s’engage dans une pensée librement associative. Le courant de ses propos s’enrichit, se fait fluctuant, imaginatif, créatif. Elle se sent bien dans son corps, à l’aise sur sa chaise, elle se déshabille légèrement, enlève sa veste, ouvre son corsage, dégageant son nombril dans une démarche qui n’est pas séductrice, mais plutôt narcissique. Elle dit : « Je peux faire ma thérapie toute seule… Je n’y arriverai que si je suis toute seule… » Et puis, elle s’engage dans des souvenirs passés, récents ou plus anciens : sa passion pour le cheval, sa naïveté dans les relations amoureuses, son envie d’être fusionnelle avec ses amoureux – ce qu’elle appelle « être conne comme ses parents », évoque l’origine étrangère de ces derniers, leur couple au fond peu houleux ; enfin, les huit jours passés sur une île méditerranéenne où tout n’était que rêve. Elle m’en rapporte une scène typique de l’adolescence : elle est un peu shootée ; sa mère danse avec les mêmes garçons qu’elle ; trois d’entre eux lui tournent autour, elle en aime un, elle l’épousera… Elle se lâche, devient enthousiaste, exaltée, bavarde. Son activité fantasmatique se déploie, la mettant en scène avec bonheur au milieu de ses proch