La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est la plus fréquente des leucémies chez l’adulte en Occident : son incidence y est de 3 à 4 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants [30]. En revanche, cette forme de leucémie est exceptionnelle en Extrême-Orient, et sa fréquence reste très faible chez les Asiatiques émigrés aux États-Unis. Elle affecte exclusivement les adultes. La survie est très variable, allant de 30 mois dans les formes les plus graves à plus de 25 ans dans nombre de cas évoluant de façon indolente, et n’est que modestement influencée par les traitements médicaux jusqu’à présent.Syndromes de prolifération à grands lymphocytes granuleuxLes leucémies à grands lymphocytes granuleux (LGL) représentent 2 à 5 % des syndromes lymphoprolifératifs chroniques. La présentation clinique classique associe des infections récurrentes secondaires à une neutropénie sévère, une anémie, une splénomégalie et assez fréquemment une maladie auto-immune, le plus souvent une polyarthrite rhumatoïde [56]. Depuis la description initiale en 1985, la nosologie de cette affection a été affinée : il a été montré qu’il existait deux sous-entités au sein des leucémies LGL : le type T (CD3+), majoritaire, comptant pour 85 % des cas et le type NK (natural killer) (CD3–), minoritaire. La dernière classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2008 propose en fait trois sous-catégories : les deux plus fréquentes représentées par les leucémies LGL-T et NK de type indolent et les leucémies LGL-NK agressives exceptionnelles.Leucémie à tricholeucocytesC’est une maladie chronique, maligne, caractérisée par la prolifération lente dans la rate, la moelle osseuse et, tardivement, dans le sang de cellules lymphoïdes caractéristiques par leur aspect cytologique. La première description de l’affection est celle d’Ervald en 1923, sous le nom de réticulo-endothéliose leucémique, terme qui sera repris par B. Bouroncle à propos de vingt-six patients dans un article consacrant l’individualisation de la maladie [66]. Le terme de leucémie à cellules chevelues (hairy cells) ou tricholeucocytes s’est imposé par la suite, privilégiant l’aspect des cellules plus que leur origine et rendant obsolètes les nombreux synonymes en usage [67].Macroglobulinémie de WaldenströmInitialement décrite en 1944 par Jan Waldenström [123], la macroglobulinémie de Waldenström (MW) est définie par l’association d’une immunoglobuline M (IgM) monoclonale et d’une prolifération lymphoïde médullaire polymorphe, comportant lymphocytes, lymphoplasmocytes et plasmocytes. Il s’agit d’une hémopathie lymphoïde B de bas grade qui, au sein du groupe des lymphomes lymphoplasmocytaires (LPC), tirait son originalité de la présence de l’IgM monoclonale. La découverte d’une mutation acquise récurrente du gène MYD88 présente au niveau des cellules clonales de la quasi-totalité des macroglobulinémies de Waldenström confirme que cette maladie est bien une entité à part entière [122].MyélomeLe myélome multiple, ou maladie de Kahler, est une maladie maligne caractérisée par le développement clonal de plasmocytes dans la moelle osseuse. L’étude de cette maladie a suscité un grand intérêt pour plusieurs raisons [149] :– elle a fourni les outils pour comprendre la structure des anticorps ;– elle a été à l’origine du concept de clonalité, l’immunoglobuline monoclonale produite par les plasmocytes anormaux représentant un marqueur tumoral quasi idéal ;– elle a illustré l’importance des relations entre cellules tumorales et micro-environnement ;– les approches modernes utilisant les outils de la biologie moléculaire ont apporté des informations essentielles concernant les mécanismes de progression tumorale et de réponse aux traitements.Parallèlement, le développement des stratégies de traitements intensifs et de greffe de cellules souches hématopoïétiques et la disponibilité de médicaments de plus en plus efficaces ont contribué à en améliorer le pronostic.Immunoglobulines monoclonales de signification indéterminéeLa présence, dans le sérum ou les urines, d’une immunoglobuline (Ig) monoclonale témoigne de l’émergence d’un clone de cellules B produisant des molécules d’immunoglobulines identiques, sans préjuger du caractère bénin ou malin de ce clone. Leurs principaux modes de prolifération maligne sont le myélome et la macroglobulinémie de Waldenström. Par ailleurs, les composants monoclonaux, principalement les chaînes légères ou lourdes, peuvent contribuer à la formation de dépôts anormaux d’immunoglobulines ou d’amylose AL. Ces affections sont décrites dans la section « Médecine interne ». Certaines proliférations clonales ont une traduction limitée à la présence d’une immunoglobuline monoclonale, sans développement tumoral apparent et sont désignées par le terme d’immunoglobulines monoclonales « bénignes ». En fait, celles-ci doivent être considérées comme des situations intermédiaires « prémalignes », à risque d’évolution vers une maladie maligne avérée, ce que les Anglo-Saxons traduisent en les qualifiant de monoclonal gammapathy of undetermined significance (MGUS ou GMSI en français).Maladie des chaînes lourdesLes maladies des chaînes lourdes (MCL) sont des hémopathies lymphoïdes B caractérisées par la production d’une immunoglobuline (Ig) monoclonale de structure anormale, constituée de deux chaînes lourdes incomplètes, sans chaîne légère associée. Il en existe trois variétés, correspondant aux trois principales classes d’immunoglobuline : la MCL α, la plus fréquente et les MCL μ et γ, beaucoup plus rares.Caractéristiques protéiques et moléculaires [186]Les protéines de MCL sont constituées d’une chaîne lourde d’immunoglobuline remaniée, ayant conservé sa partie Fc mais présentant des délétions au niveau de ses domaines amino-terminaux, en général du premier domaine constant (CH1) et de tout ou partie du domaine variable. La chaîne anormale peut, en plus, inclure des séquences d’acides aminés aberrantes. L’absence du CH1 entraîne l’impossibilité de liaison chaîne lourde-chaîne légère, lorsque celle-ci existe. Elle rend compte également de la non-fixation du fragment de l’immunoglobuline anormale sur des protéines chaperonnes au niveau du réticulum endoplasmique qui en assure normalement l’excrétion.Lymphomes non hodgkiniens de l’adulteLes lymphomes non hodgkiniens (LNH) constituent un ensemble d’affections résultant d’une prolifération maligne de cellules lymphoïdes de phénotype B ou T/NK à des degrés divers de différenciation et/ou d’activation. Les caractéristiques cliniques, anatomopathologiques, immunologiques, pronostiques et thérapeutiques des LNH en font cependant un ensemble hétérogène.La prise en charge des malades atteints de LNH a bénéficié, au cours des vingt dernières années, de progrès liés principalement à des outils diagnostiques plus précis, au développement de biomarqueurs permettant de proposer des traitements ciblés innovants, essentiellement par des immunothérapies qui ont bouleversé le pronostic de certaines entités.Lymphome de HodgkinLe lymphome de Hodgkin est une hémopathie maligne qui peut se développer à tout âge, mais principalement chez l’adulte jeune. Deux pics de fréquence sont observés dans les pays occidentaux, l’un autour de 30 ans, l’autre après 50 ans. Il existe une prédominance masculine chez le jeune enfant et le sujet âgé. Le taux d’incidence standardisée est de 2,2 pour 100 000 personnes-années, ce qui correspond en France à environ 1 400 nouveaux cas par an. Les progrès thérapeutiques résultent de traitements adaptés aux facteurs de risques, dans le cadre d’essais thérapeutiques. Améliorer le pronostic des formes graves qui rechutent ou résistent au traitement standard reste un objectif prioritaire.
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La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est la plus fréquente des leucémies chez l’adulte en Occident : son incidence y est de 3 à 4 nou veaux cas par an pour 100 000 habitants [35]. En revanche, cette forme de leucémie est exceptionnelle en ExtrêmeOrient, et sa fré quence reste très faible chez les Asiatiques émigrés aux ÉtatsUnis. Elle affecte exclusivement les adultes. La survie est très variable, allant de 30 mois dans les formes les plus graves à plus de 25 ans dans nombre de cas évoluant de façon indolente, et n’est que modestement influen cée par les traitements médicaux jusqu’à présent.
Physiopathologie
Les mécanismes présidant à l’émergence d’un clone de petits lym phocytes B sont encore très mal élucidés. Si les techniques de géné tique cellulaire ont permis récemment d’entrevoir certains d’entre eux, ces études ont aussi montré leur complexité et leur enchevêtrement [44]. En outre, les clones se diversifient au cours de leur expansion par l’acquisition d’anomalies additionnelles dont certaines résultent pro bablement de la pression exercée par les traitements [51]. L’intrication de facteurs génétiques définissant un terrain favorable et de facteurs exogènes est évoquée par de nombreux faits. En faveur d’une susceptibilité génétique plaide l’observation d’un risque 8,5 fois plus élevé de développer une leucémie lymphoïde chronique chez les sujets apparentés. Cependant, l’étude des familles concentrant plu sieurs cas n’a pas montré par séquençage génomique de profil ou de mutations expliquant cette susceptibilité [27]. Contrastant avec d’autres hémopathies malignes, l’exposition aux agents leucémogènes connus, en particulier les irradiations acciden telles ou thérapeutiques, les hydrocarbures benzéniques, les chimiothé rapies par alkylants ou inhibiteurs de topoisomérase, ne semble pas associée à une incidence accrue de la maladie.
Sélection clonale initiale
Les cellules du clone sont issues d’une souspopulation de lympho cytes provenant de la zone périfolliculaire du centre germinatif ganglionnaire. Ces cellules, dites autoréactives, sont caractérisées par la coexpression des antigènes CD5 et CD19. L’analyse des séquences combinatoires des gènes codant les régions variables des immunoglobu lines indique que les lymphocytes de cette zone n’ont pas encore subi les mutations somatiques résultant habituellement d’un contact antigé nique (cellules naïves), tandis que les cellules du centre germinatif expri ment ces mutations et acquièrent une spécificité étroite et de haute affinité pour l’antigène (cellules mémoires). À l’issue du processus de
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sélection au sein du centre germinatif, les lymphocytes B subissent des mutations somatiques additionnelles qui renforcent la spécificité du récepteur de l’antigène (BCR pourBcell receptor). Un seuil d’homolo gie supérieur à 98 % par rapport aux séquences VHen configuration germinale définit les formes dites « non mutées », inférieur à 98 % les formes dites « mutées ». Les clones lymphocytaires observés chez les patients atteints de LLC peuvent exprimer l’une ou l’autre caractéris tique (mutée ou non mutée), qui reste invariante au fil du temps chez un même malade. Les cas mutés et non mutés diffèrent donc par leur histoire naturelle, passant par le centre germinatif dans le premier cas (et donc susceptibles d’y avoir subi une sélection par un antigène), ou indépendamment de ce passage (et donc d’une stimulation antigénique initiale) dans le second. Cette distinction est déterminante pour le pro nostic comme on le verra plus loin. Surtout, elle fait envisager deux mécanismes pour expliquer l’initiation du clone lymphocytaire B. Le premier résulterait d’un contact antigénique initial, déclenchant une réponse monoclonale anormale. L’étude stéréotypique du récepteur B chez des patients atteints de LLC a montré dans 30 % des cas l’existence de groupements de séquences spécifiques [1]. Une illustration remar quable de ce processus a été récemment démontrée : certains stéréo types reconnaissaient spécifiquement un motif antigénique de champignon filamenteux [β(1,6)glucan] capable de les stimuler fonc tionnellement [34]. Le second mécanisme implique une prolifération clonale indépendante d’antigènes. Ce mécanisme est illustré par l’obser vation de clones dont les récepteurs B sont autoactivés [19].
Répertoire des réponses clonales Les remaniements VDJ des cellules B font appel à un processus de sélection en principe aléatoire. Leur analyse dans cette maladie indique une représentation préférentielle de certains gènes. Par exemple, VH1 69, VH439 sont surreprésentés, et notamment dans les formes non mutées. À l’opposé VH321 est surreprésenté dans les formes mutées, et ce répertoire concerne près de 10 % des cas en Scandinavie, et moins de 1 % des cas espagnols [23]. Ces variations de distribution géogra phique en Europe soulignent la vraisemblance d’interactions entre des facteurs d’environnement (peutêtre de nature antigénique) et une sus ceptibilité génétique propre à chaque patient.
Expansion du clone lymphocytaire B L’expression tumorale de la maladie dépend d’un déséquilibre entre prolifération et apoptose. Une méthode de marquage des lymphocytes in vivo par l’eau tritiée a permis d’évaluer la fraction quotidienne de renouvellement lymphocytaire, l’entrée (prolifération), la sortie (apop tose), l’importance des compartiments de multiplication extravascu laires. Les profils individuels paraissent assez hétérogènes, souvent complexes de par l’importance des compartiments de prolifération non sanguins, et du turnover journalier variable de la masse lympho cytaire totale [38]. Prolifération cellulaire Elle résulte d’une activité excessive du récepteur des cellules B (BCR) [54]. Le récepteur B est constitué par un assemblage d’immunoglobu lines (principalement IgM en configuration 7S) flanqué de deux sous unités, Igα(CD79a) et Igβ(XΔ79β), associées à des motifs intra cytoplasmiques (ITAM pourimmunoreceptor tyrosinebased activation motif). Sa mise en jeu entraîne une activation en aval de voies d’activa
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Hématologie
tion où interviennent plusieurs tyrosines kinases, notamment LYN (kinase de la famille SRC), SYK (spleen tyrosine kinase) BTK (Bruton tyrosine kinase) et Pl3K (phosphatidylinositol 3 kinase). Ces kinases sont aujourd’hui les cibles de nouveaux traitements (voirplus loin). Le rôle crucial de l’activation de BCR dans le processus de prolifération est évo qué par de nombreux faits expérimentaux. La protéine ZAP70, norma lement restreinte fonctionnellement aux cellules T et NK (natural killer), y contribue surtout dans les formes non mutées. Sa dégradation induit l’apoptose des cellules B leucémiques ZAP70+ [12]. En d’autres termes, l’activation de ZAP70 dans ces cellules détermine leur caractère hautement proliférant par comparaison aux cas ZAP70–. La surexpres sion de ZAP70 résulterait d’une déméthylation du gène par perte d’un dinucléotide CpG [14]. D’autres facteurs sont déterminants pour les capacités de prolifération des cellules, notamment l’expression de CD38, et la dérégulation de nombreux gènes impliqués dans le contrôle des voies de signalisation ou de contrôle du cycle cellulaire (Tableau S04P03C08I), par mutations, délétions chromosomiques ou modifications épigénétiques (hypo ou hyperméthylation). Plusieurs anomalies chromosomiques significatives sont décelées par l’étude cyto génétique métaphasique et/ou par fluorescence interphasique : les plus fréquentes sont les microdélétions 13q, la trisomie 12, les délé tions 17q, 11q ou 6 p, et les translocations complexes [18, 39]. Ces anomalies ont une signification pronostique majeure, mais aucune d’entre elles ne semble déterminante pour l’initiation du processus de
Tableau S04P03C08IPrincipales altérations génétiques et épigéné tiques observées dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC) [38, 57, 60]. Gène(s) Fonction Anomalies LLC IGHVReconnaissance/ Mutations somatiques présentes (≈50 %) affinité antigène ou absentes (≈50 %) (seuil : 98 % d’homologie germinale). Recombinaisons VDJ non aléatoires (surreprésentation de certains gènes VH Puissant facteur pronostique (voirtexte) ZAP70Activité décelée dansActivation BCR ≈45 % des cas Hypométhylation du gène par perte d’îlots CpG Puissant facteur pronostique (défavorable si exprimé). TP53Antioncogène Mutations dans≈5 % des cas au diagnostic, jusqu’à 30 % dans les formes évoluées Facteur pronostique majeur (résistance aux chimiothérapies) ATMdans 12 % des cas (30 % si 11q)Réparation Mutations de l’ADN Facteur pronostique défavorable (moindre efficacité des chimiothérapies) miARNRégulationmiR16/15a(réprime BCL2) : sousexprimé d’expression par méthylation ou mutation dans 68 % des cas Autres gènes sur ou sousexprimés :miR21, miR29c, miR181b, miR223. miR34(relations étroites avec l’expression deTP53) NOTCH1Mutations activatrices dans 6 à 10 % des cas,Voie de signalisation étroitement associées à trisomie 12 etIgHV non muté SF3B1 SplicingMutations dans 9,8 % des cas (non traités) et 15 % après traitement Associées à del(11q) et résistance à la fludarabine MYD88Modulation Associé aux mutations somatiquesIgHV du récepteur Tolllikede l’IL1 BIRC3dans 4 % des casRégulation Mutations/délétions de NFκdiagnostic, 24 % dans les cas réfractairesB au à la fludarabine. S’excluent mutuellement avec celles deTP53 TWIST2RégulationTP53Méthylation en relation avec l’étatIgHVmuté (76 %)/non muté (16 %)
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prolifération. En revanche, certaines contribuent à son développement non contrôlé et à l’acquisition de résistances aux traitements : c’est en particulier le cas de la délétion 17q, (englobant p53), décelée dans une faible proportion de cas de leucémie lymphoïde chronique au diag nostic (environ 5 %). Les anomalies chromosomiques défavorables (17q, 11q, translocations complexes) concernent surtout des formes avancées, multitraitées, et sont davantage les témoins d’une évolution qu’un événement initial dans cette maladie.
Inhibition d’apoptose Les cellules malignes surexpriment la protéine Bcl2, qui inhibe leur apoptose. Le rôle des miARN (ou microARN) y a été récemment mis en évidence [36]. Les microARN sont des ARN non codants de 21 à 25 nucléotides qui contrôlent l’expression génique des cellules des organismes supérieurs animaux, végétaux et humains. Parmi les miARN impliqués, miR 15a et miR 161 dont les gènes sont localisés en 13q14, régulent négativement l’expression de BCL2. Leurs muta tions expliqueraient la surexpression de BCL2 et l’inhibition d’apop tose qui en résulte [10]. Ces microARN agissent comme des gènes suppresseurs de tumeurs : la présence d’une mutation germinale hété rozygote décelable dans les cellules somatiques de certains patients, complétée par une perte d’hétérozygotie pour ces mutants dans les cel lules des clones leucémiques est conforme au modèle de Knudson.
Rôle du microenvironnement C’est surtout dans les ganglions et la moelle que s’opère la croissance de la maladie. En effet, l’expansion du clone résulte non seulement de modifications cellulaires intrinsèques mais aussi et surtout de l’influence du microenvironnement [45]. Les centres de prolifération sont observés dans la moelle et les ganglions sous forme de pseudo follicules au sein desquels les cellules B sont étroitement associées à des cellules CD4+ et à des cellules mononucléées assurant un rôle denurse like cells[42]. Dans ce microenvironnement, les lymphocytes B trouvent les conditions favorables à l’inhibition de l’apoptose et la sti mulation de leur prolifération [53] : ils y expriment des caractéris tiques fonctionnelles prolifératives (Ki67, survivine, CD38) plus fortement que les lymphocytes sanguins. L’étude comparée du profil d’expression génomique des lymphocytes ganglionnaires, médullaires et sanguins montre que la surexpression des gènes impliqués dans la prolifération (activation du BCR et de la voie NFκB) est maximale dans l’environnement ganglionnaire [31]. La répartition des cellules tumorales entre les sites tissulaires de pro lifération (ganglions, moelle osseuse) et le sang est d’ailleurs très variable d’un patient à l’autre. Elle dépend de l’expression variable de chimiokines d’adhésion [52] et peut être modifiée par certains traite ments, notamment ceux ciblant les activités tyrosine kinase dépendant du BCR (voirplus loin). Cette observation est quotidienne en clinique : nombre de patients peu tumoraux sont hyperlymphocytaires dans le sang, et inversement. En l’absence d’hyperlymphocytose, la maladie est classée comme lym phome non hodgkinien « à petits lymphocytes » (small lymphocytic lymphoma[SLL]). La classification OMS des maladies lymphoprolifé ratives, dans sa dernière version, reconnaît aujourd’hui une continuité entre la leucémie lymphoïde chronique et le lymphome à petits lym phocytes en les regroupant dans un cadre commun (LLC/SLL) [11]. Il est remarquable de constater chez les patients atteints de SLL que l’absence de centres de prolifération actifs est associée à la stabilité, voire la régression spontanée possible des adénopathies [25].
Manifestations cliniques et hématologiques
L’âge médian au diagnostic est de 72 ans, la maladie est exception nelle avant 40 ans. Il existe une discrète prédominance masculine (61 %).
Formes cliniquement latentes
La maladie est souvent et longtemps cliniquement latente. Dans plus de la moitié des cas, elle est révélée fortuitement chez un adulte en bonne santé apparente par un hémogramme montrant une hyperlym phocytose variable, habituellement comprise entre 5 000/μl et 50 000/μl, parfois davantage. La latence symptomatique de l’hyper lymphocytose sanguine, même quand elle dépasse ces valeurs, est remarquable. Les patients expriment parfois dans ces circonstances une sensation de lassitude physique. Une fébricule, des sueurs, un amaigris sement sont inhabituels et doivent faire suspecter une complication intercurrente ou évolutive de la maladie.
Manifestations tumorales
Les adénopathies superficielles sont décelées par la palpation des aires cervicales, susclaviculaires, axillaires et inguinales. Leur présence est inconstante. Les ganglions, de volume modéré, sont traditionnellement bilatéraux, symétriques, indolores, non compressifs. L’atteinte simulta née de plusieurs de ces aires a une incidence pronostique (voirplus loin). Les adénopathies profondes ne sont pas systématiquement étudiées en raison de leur caractère habituellement asymptomatique et de la rareté des manifestations compressives. Le médiastin, traditionnellement indemne en apparence sur les clichés de thorax de face et profil, recèle souvent des adénopathies s’il est examiné par tomodensitométrie : les ganglions sont observés dans les chaînes médiastinales paratrachéales, principalement au sein de la loge de Baréty et de la fenêtre aortopulmo naire. Elles sont rarement volumineuses (1 à 2 cm), et jamais compres sives, sauf en cas de transformation (syndrome de Richter,voirplus loin). Les adénopathies rétropéritonéales ont longtemps été étudiées par la lymphographie. Malgré une moins bonne définition des images ganglionnaires pathologiques, la tomodensitométrie s’est imposée face à la lymphographie pour l’exploration des chaînes ganglionnaires abdomi nales et pelviennes, en raison de la plus grande facilité de réalisation. Une splénomégalie est souvent associée aux adénopathies. Elle peut parfois être isolée : cette présentation a pour réputation d’être de meil leur pronostic, ou du moins d’évoluer de façon lente. Cependant, le caractère volumineux de la splénomégalie est parfois l’indice d’une forme plus agressive dite prolymphocytaire, ou d’autres maladies lym phoprolifératives chroniques. D’autres signes d’infiltration lymphoïde sont classiques. L’augmenta tion de volume des amygdales pharyngées est fréquente mais n’engendre que très rarement une dysphagie ou des manifestations compressives. Trop souvent, la constatation de ce signe déclenche une amygdalectomie alors que le diagnostic aurait été facilement reconnu sur l’hémogramme. L’infiltration lymphoïde est en réalité présente dans la plupart des tissus mais elle reste généralement asymptomatique. Il est fréquent qu’elle soit décrite au sein d’un prélèvement biopsique d’organe pratiqué pour d’autres raisons. Le risque est d’attribuer trop facilement à ces infiltrats de lymphocytes un rôle lésionnel tumoral spécifique. Il existe toutefois des observations de localisations parenchymateuses symptomatiques : rénales, avec protéinurie, syndrome néphrotique, voire insuffisance rénale ; cutanées à type de papules infiltrées ; pulmonaires interstitielles ou pleurales ; ostéolytiques ; méningées ; prostatiques, vésicales. Dans certaines de ces localisations, on a pu montrer l’affinité sélective des immunoglobulines de membrane pour des antigènes tissulaires spéci fiques [4]. Ces observations sont exceptionnelles.
Examens morphologiques
Hémogramme Il montre une augmentation absolue du nombre des petits lympho cytes que rien ne permet de distinguer morphologiquement de petits lymphocytes normaux. Cette augmentation peut être discrète au début, comprise entre 5 000 et 10 000/μl, ou considérable dès le pre
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mier examen, dépassant les 100 000/μl. L’examen des frottis de sang montre la présence habituelle de cadavres nucléaires ou « ombres de Gumprecht », dont la présence est l’indice de formes moins évolutives. La présence d’une faible proportion (< 10 %) de lymphocytes à chro matine plus lâche, nucléolée, est possible, surtout après un certain temps d’évolution. En proportion plus importante, ces cellules amènent à réviser le diagnostic (Tableau S04P03C08II). L’hyperlymphocytose n’a pas de conséquence symptomatique propre, en particulier le phénomène de leucostase n’a guère de réalité. Lorsqu’elle dépasse plusieurs centaines de milliers de lymphocytes par 3 mm , il est possible de déceler des modifications discrètes du rapport ventilationperfusion si on utilise des méthodes sensibles (différence alvéoloartérielle du CO). En revanche, l’hyperlymphocytose peut engendrer des artefacts de dosages biologiques : les gaz du sang peuvent être modifiés par une consommation excessive d’oxygène in vitro si on ne prend pas soin de réfrigérer la seringue de prélèvement, de la main tenir à + 4 °C et de pratiquer l’examen sans délai. L’hypoglycémie fac tice par consommation de glucose in vitro est prévenue par le fluorure de sodium des tubes de prélèvement (ce produit bloque la chaîne res piratoire mitochondriale, donc la glycolyse aérobie). Dans la majorité des cas lors du diagnostic, la numération des gra nulocytes (si on prend le soin de l’exprimer en valeur absolue), des hématies et des plaquettes montre des valeurs normales ou proches de la normale. La constatation d’une anémie ou d’une thrombopénie (10 à 15 % des cas lors du diagnostic) modifie le pronostic de la maladie et justifie d’en préciser le mécanisme si possible car les mesures thérapeutiques qui s’imposent dans ces cas ne sont pas uni voques (voirplus loin).
Examen de la moelle osseuse Cet examen a perdu son importance diagnostique depuis la pratique routinière de l’immunophénotype. Au myélogramme, l’infiltration par des petits lymphocytes, constante dans cette affection, est supérieure à 30 %. Il est difficile de juger de la richesse médullaire (les lymphocytes pouvant provenir d’une aspiration conjointe de sang), ce qui rend aléa toire l’appréciation quantitative des autres lignées, notamment pour dis tinguer le mécanisme central ou périphérique d’une anémie ou d’une thrombopénie associées. L’examen médullaire par biopsie montre que l’infiltration peut revêtir plusieurs aspects : interstitielle modérée, en nodules, diffuse plus ou moins dense et parsemée de renforcements focaux. La densité de cette infiltration n’a pas de traduction évidente sur la production hématopoïétique normale. En revanche, elle a une inci dence sur le pronostic global de la maladie : les formes à infiltration dense et diffuse ont une évolution moins favorable que celles à infiltration inter stitielle ou nodulaire. L’intérêt de cet examen est aujourd’hui obsolète tant pour le diagnostic de la maladie que pour son intérêt pronostique.
Tableau S04P03C08II nophénotypiques.
Critères diagnostiques cytologiques et immu
Score immunophénotypique (1) Morphologie (Matutes) (voirTableau S04P03C08I) Score 4 ou 5 Score < 4 Lymphocytes mûrs, LLC « classique » Diagnostic douteux prolymphocytes et/ou lymphocytes atypiques < 10 % Frottis panaché : prolymphocytes LLC « mixte » Diagnostic douteux entre 10 et 55 % Autres aspects morphologiques LLC « atypique » Diagnostic improbable (1) Cinq critères : immunoglobuline de membrane monotypique (densité faible) ; expression de la molécule CD5 ; expression de la molécule CD23 ; expression faible, voire inexis tante de CD79b ; absence d'expression de FMC7.
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Hématologie
Cytologie et histologie ganglionnaire L’adénogramme montrerait un frottis dense et monomorphe de petits lymphocytes. L’examen histologique d’un ganglion, clef du diag nostic des lymphomes non hodgkiniens, est rarement pratiqué dans la leucémie lymphoïde chronique puisque l’expression sanguine de la maladie en évoque le diagnostic dans tous les cas. Il arrive cependant que, par discrétion ou méconnaissance des signes hématologiques (hémogramme), ces ganglions fassent l’objet d’une adénectomie pour examen anatomopathologique : l’aspect est celui d’une prolifération diffuse et monomorphe de petits lymphocytes, effaçant l’architecture normale du ganglion lymphatique, constituant parfois des ébauches de pseudofollicules. Les anatomopathologistes classent cet aspect comme un lymphome lymphocytique ou à petits lymphocytes bien différen ciés (classification OMS). Cette équivalence nosologique utile à connaître est reconnue actuellement dans la classification OMS (voir « Rôle du microenvironnement »). En revanche, l’indication d’un examen ganglionnaire peut s’imposer dans certains cas : adénopathie isolée et asymétrique, douloureuse, compressive, dure ou fixée. Ces cir constances permettent parfois de reconnaître un syndrome de Richter ou la métastase d’un cancer lymphophile.
Examens immunologiques
Ils permettent de préciser la nature des lymphocytes constituant la prolifération et l’existence, fréquente, de manifestations de déficit immunitaire et d’autoimmunité.
Immunophénotype lymphocytaire L’examen à l’aide d’anticorps fluorescents par cytométrie en flux uti lise des cytomètres multicanaux permettant de reconnaître la présence simultanée de plusieurs antigènes (six avec les équipements actuels, voirChapitre S04P01C04). Cet examen est indispensable pour le diagnostic. Il précise le phénotype B des lymphocytes et leur caractère monoclonal (monotypieκ/λdes immunoglobulines de membrane). L’un des signes les plus fidèles de la maladie est la diminution de den sité de ces immunoglobulines de membrane par rapport aux lympho cytes B normaux. Les chaînes lourdes sont très généralement de typeμ (IgM), parfois de typeδ(IgD), souvent les deux types associés. Les typesαouγ(IgA ou IgG) sont exceptionnels. L’expression des antigènes de différenciation des lymphocytes san guins est caractéristique par la présence simultanée des antigènes de différenciation B (CD19, CD20), et d’un antigène exprimé par les lymphocytes T et d’une souspopulation B restreinte (CD5). Cette coexpression CD19CD5 est un signe très fidèle de la maladie. Elle n’en est pas pour autant spécifique, ce critère caractérisant aussi les lymphomes du manteau. La détection d’autres antigènes de différen ciation (CD23, CD79b, FmC7, CD10) est utile pour distinguer la maladie de certains syndromes lymphoprolifératifs chroniques clini quement ou cytologiquement proches mais nosologiquement dis tincts (Tableau S04P03C08III). Les formes dites de phénotype T, décrites autrefois comme excep tionnelles, sont en réalité des leucémies à grands lymphocytes granu leux (voir« Syndromes de prolifération à grands lymphocytes granuleux ») ou des leucémies prolymphocytaires T. L’examen par cytométrie en flux à l’aide des appareils multicanaux actuels permet de détecter, au sein des lymphocytes sanguins ou médullaires, la présence d’une population monoclonale avec une sen –4 –5 sibilité de l’ordre de 10 à 10 . On peut ainsi évaluer avec une grande précision l’existence d’une maladie résiduelle inapparente sur l‘hémo gramme après un traitement. Le développement et l’accessibilité à l’examen cytométrique ont per mis de reconnaître depuis une dizaine d’années l’existence de prolifé rations monoclonales lymphocytaires B ayant l’ensemble des caractères cidessus, mais n’atteignant pas le seuil de 5 000/μl. Ces cas
S04P03C08
Tableau S04P03C08IIIDiagnostic immunophénotypique. sIg CD5 CD23 CD22 FMC7 CD79b CD10 Leucémie lymphoïde↓+ +↓– – chronique Leucémie +±± + + +± à prolymphocytes B Lymphome du manteau + + –±+ +± Lymphome folliculaire + –± ±++ + sIg : immunoglobulines de membrane ; CD79b : constitue, avec les immunoglobulines de membrane, le complexe de reconnaissance antigénique des lymphocytes B (B cell receptor [BCR]). Son domaine extracellulaire est tronqué dans 95 % des cas de LLC (d’où la faible expression des immunoglobulines de membrane) ; FMC7 : antigène de classe de différen ciation (CD) non encore définie.
n’atteignant pas ou pas encore un développement tumoral perceptible sont désignés par le terme de lymphocytose monoclonale B isolée, dont la signification nosologique et la fréquence sont comparables à celles des immunoglobulines monoclonales de signification indétermi née : de tels clones lymphocytaires B sont détectables chez 3,5 % des sujets sains à partir de la quarantaine, et leur prévalence augmente avec l’âge, dépassant 10 % audessus de 80 ans, et atteignant 50 % après 90 ans. Ils sont décelés chez 13 % des apparentés à un patient atteint de LLC. Ceux qui dépassent 1 000/μl font le lit de la maladie, avec un risque de progression de l’ordre de 1 à 2 % par an [24, 46].
Immunité humorale Une hypogammaglobulinémie est fréquente. Elle peut être disso ciée, ou porter sur les trois principales classes d’immunoglobulines (IgG, IgA, IgM). Le déficit d’anticorps est aussi illustré par la baisse des hémagglutinines naturelles antiA et antiB, et la difficulté d’observer une séroconversion visàvis d’un antigène notamment vaccinal. Il est possible mais rare de déceler un pic monoclonal sérique : ces cas consti tuent des formes frontières avec la macroglobulinémie de Waldenström (voirplus loin) ou un lymphome de la zone marginale (voir« Lymphomes non hodgkiniens de l’adulte »).
Immunité cellulaire Les altérations quantitatives des souspopulations de lymphocytes T, en particulier CD4, sont discrètes au début de la maladie, puis s’affir ment au cours de l’évolution. Il est toutefois difficile de faire la part de l’altération spontanée et des effets des traitements. Qualitativement, un défaut de coopération cellulaire B/T est mis en évidence par le défaut d’expression de certains antigènes de membrane (interaction CD40R et de son ligand CD40L) spécifiquement impliqués dans cette fonction.
Cytogénétique métaphasique et moléculaire L’étude du caryotype des lymphocytes (principalement du sang) est une technique longue et laborieuse (voirChapitre S04P01C05), fournissant dans cette maladie des mitoses analysables dans 50 à 70 % des cas, selon l’expérience du laboratoire et les mitogènes utili sés. Aucune anomalie cytogénétique n’est caractéristique de la mala die. En combinant les données du caryotype et celles de l’hybridation de sondes flurorescentes sur cellules interphasiques (FISH), on peut déceler dans près de 80 % des cas la présence d’anomalies récur rentes. La délétion 13q est la plus fréquente (50 à 60 %) ; d’autres sont détectables, selon une fréquence décroissante : trisomie 12q, délétions 11q, 17p, 6q, 8q, 3q, translocations 14q32 impliquant dif férents gènes partenaires. Ces techniques sont étroitement complé mentaires, leur rendement n’étant pas le même selon l’anomalie considérée. À titre d’exemple, l’anomalie 13q est décelée dans 10 à 15 % des cas par le caryotype métaphasique, dans 50 à 60 % des cas par FISH [18]. Inversement, les translocations, les anomalies