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Description
Sujets
Informations
Publié par | Odile Jacob |
Date de parution | 02 février 2022 |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782415001070 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
© O DILE J ACOB , FÉVRIER 2022
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0107-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Préface par Étienne Klein
Les technologies numériques, aujourd’hui en pleine effervescence, donnent lieu à un foisonnement d’analyses et de commentaires. À l’instar de précédentes générations de « nouvelles technologies », leur seule invocation semble capable d’étayer toutes sortes de discours et d’induire les scénarios les plus contradictoires : on les accole ici à d’effrayantes prophéties, là à de séduisantes promesses.
Il y a en somme deux « camps » qui se font face : d’un côté, celui de la catastrophe ; de l’autre, celui du « salut », en l’occurrence de la foi en une résolution de tous les maux grâce au numérique. Bien qu’antithétiques, ils s’accordent pour affirmer, chacun avec ses arguments propres, que ces technologies mènent à un monde qui n’aura guère en commun avec celui dans lequel nous vivons, peut-être même à une véritable rupture anthropologique.
La pandémie de Covid-19 en cours, avec ses phases de confinement successives, offre une bonne illustration de cette ambivalence des technologies numériques. Nombreux sont ceux qui ont pu continuer à exercer leur activité professionnelle grâce aux outils de télétravail, à bénéficier de soins grâce à la télémédecine, à continuer leur formation grâce au téléenseignement et à rester en relation avec leur famille et leurs proches grâce aux outils de communication. Mais dans le même temps, la pandémie s’est accompagnée d’une mise en scène des arguments des deux camps évoqués plus haut, les uns dénonçant une déjà trop grande virtualisation de la société, les autres imaginant des solutions exclusivement numériques pour toutes sortes de problèmes.
Le contact humain et la présence physique sont essentiels à la fois au tissu démocratique et au sentiment d’appartenance à un monde commun. Or, nos modes d’interaction sont de plus en plus transformés par la numérisation. Par exemple, le télétravail réduit la nécessité de se rendre au bureau ; les achats en ligne, celle de fréquenter les magasins ; l’administration numérisée, celle de se rendre dans les bâtiments publics. Ce phénomène a pour effet de mettre hors de la vue du monde numérique ceux dont le rôle sociétal est lié à la présence, soit parce qu’ils travaillent « physiquement » (avec leur corps), soit parce qu’ils sont exclus de ce monde numérique pour des raisons pouvant être sociales, économiques, cognitives, voire générationnelles. C’est donc la configuration même de la Cité qui se trouve bouleversée, ce qui engendre de nouvelles questions d’ordre éthique, politique et sociétal.
La numérisation permet notamment l’avènement d’une nouvelle condition de l’individu contemporain : dès lors qu’il est connecté, celui-ci peut désormais façonner son propre accès au monde depuis son smartphone et, en retour, être façonné par les contenus qu’il reçoit en permanence par les réseaux sociaux. Il bâtit une sorte de « chez-soi idéologique » en choisissant les communautés cloud qui lui correspondent le mieux. Dès lors, il ne semble plus nécessaire que les citoyens s’accordent par un « contrat social » (au sens de Jean-Jacques Rousseau), ni même sur les fondements de la coexistence commune, les différentes « bulles cognitives » étant au mieux soumises à des contraintes extérieures décidées par des sociétés privées. Ni qu’ils s’approprient les valeurs et les idéaux qu’incarnent les institutions républicaines, dès lors que d’autres valeurs peuvent régir leur communauté numérique. Se met ainsi en place une sorte de primauté du soi connecté ou de la communauté virtuelle sur l’ordre politique et la vie sociale.
Se fait aussi jour dans la société la crainte qu’une civilisation où le numérique s’immisce partout débouche sur une société de contrôle de la vie privée ou des orientations politiques des citoyens. On assisterait à une sorte d’indexation exhaustive du monde, à la quantification de tous ses aspects, des objets comme des êtres vivants, en permanence suivis par leur ombre digitale et contrôlés grâce à elle : on ne pourrait plus vivre sans être surveillé par les rets de plus en plus affinés d’un maillage numérique invisible et omniprésent. Comment garantir dans pareil contexte le droit à la vie privée, celui de pouvoir être vraiment seul, ou avec autrui, dans une intimité absolue ? Est-ce par des mesures d’ordre législatif ? Ou cette préoccupation doit-elle être techniquement intégrée dès la conception des outils numériques ?
Régulièrement, les sites d’actualités nous informent que l’intelligence artificielle « bat » l’intelligence humaine dans certains secteurs ou dans certaines activités, comme les jeux, le diagnostic médical ou la surveillance de processus complexes ou distribués. En d’autres termes, le silicium écrase parfois le neurone. Un tel discours ne nous humilie-t-il pas en nous comparant aux machines ? En 1956, le philosophe Günther Anders avait qualifié de « prométhéenne » cette honte « qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ». Le degré de performance atteint par certaines technologies nous persuade en effet que nous ne saurions plus être « à leur hauteur ». Sous l’influence de semblables récits qui inondent notre imaginaire et agressent notre dignité d’être humain, pourrions-nous être tentés d’abandonner notre « idéal d’autonomie » en déléguant une partie de nos choix à des machines toujours plus parfaites, qui pourraient choisir et décider à notre place ? La course incessante visant à imiter les performances de ces machines transformera-t-elle l’homme en une espèce d’être hybride intégrant des technologies au sein de son propre corps ? Ou, au contraire, l’homme sera-t-il invité à davantage cultiver son humanité « irréductible », c’est-à-dire ce qui le différencie des machines ?
Il est devenu difficile de se forger un avis véritablement éclairé sur les sujets scientifiques ou technologiques, tant les avis de ceux qui s’expriment sont opposés, simples, lapidaires, définitifs. Chacun peut avoir son opinion, bien sûr, mais elle porte en général moins sur les technologies elles-mêmes que sur les images auxquelles notre esprit les associe. En effet, toute technologie produit un « effet de halo », comme le fit remarquer le philosophe Gilbert Simondon : elle rayonne autour d’elle une lumière symbolique qui dépasse sa réalité propre et se répand dans son entourage, si bien que peu d’entre nous sont capables de la percevoir telle qu’elle est vraiment, tout entière contenue dans ses limites objectives et matérielles.
Prenons l’exemple de la 5G, aujourd’hui ardemment discutée. Il est parfaitement légitime de vouloir examiner ses possibles effets sur la santé, l’environnement, la consommation d’énergie. Mais la question principale est celle qui interroge ce qu’elle changera à nos façons de vivre et même à notre intimité : vivrons-nous plus ensemble ou moins ensemble ? Elle n’a rien de spécifique à la 5G. Elle s’adresse même à l’ensemble du numérique et à la place qu’il réserve à l’homme dans une société hyperconnectée, dont la 5G n’est que l’un des symboles : serons-nous encore plus atomisés ou ferons-nous davantage société ?
Par les perspectives qu’elles mettent en lumière, par les bouleversements qu’elles rendent envisageables, les technologies numériques finissent par s’arrimer à la question des valeurs : elles interrogent l’idée que l’on se fait de la société, de ce qu’elle devrait être ou ne devrait jamais devenir, et aussi notre façon d’y travailler, d’y occuper notre temps, d’être en rapport avec les autres, d’y exercer notre intelligence, d’y vivre spirituellement.
Tels sont les enjeux qu’explore cette étude remarquable qui, à la différence de tant d’autres, a le courage d’explorer toutes les dimensions du problème.
Introduction
Cet ouvrage est le fruit de débats, d’auditions et de travaux de veille d’un groupe de réflexion mis en place à l’initiative du pôle société du Service national famille et société (SNFS) de la Conférence des évêques de France, avec des participants d’horizons variés et de convictions diverses, dont la liste figure en annexe. Il a été voulu comme un lieu d’échange, de croisement des points de vue et de proposition. Son objectif est de partager avec nos concitoyens et les acteurs de diverses organisations ou institutions un panorama – non exhaustif, car ce n’est pas le but et ce serait vain – des technologies numériques ainsi que de leurs usages, et un ensemble de questions anthropologiques, sociétales et éthiques qui nous semblent en découler : Quel monde sommes-nous en train de construire et quel monde transmettrons-nous ? Au cours de nos débats, une interrogation s’est progressivement imposée : Quelle société voulons-nous ? , ouvrant ainsi à la dimension sociale, politique, spirituelle, en rapport avec les convictions intimes de chacun.
La transformation, ou transition, numérique est en cours, celle des familles, des associations, des entreprises, de la société, des États, des religions. Ses effets ont été largement fantasmés par la science-fiction. Il s’agit pour nous d’observer et d’analyser ces formidables avancées et d’en repérer les enjeux, et non d’entretenir chez nos contemporains une peur de l’avenir, voire